Sécurité sociale : un déficit à maîtriser et des choix à faire

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icone Extrait de l'hebdo n°3969

La Sécurité sociale accuse un fort déficit en 2024, et les projections 2025 ne sont guère réjouissantes… Un retour progressif à l’équilibre du système est pourtant possible. Encore faut-il se donner du temps, faire des choix structurants et dégager de nouvelles ressources.

Par Jérôme CitronPublié le 10/06/2025 à 12h00

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© Kermalo/RÉA

Les rapports se suivent et se ressemblent. Alors que les comptes de Sécurité sociale revenaient progressivement à l’équilibre après le choc provoqué par la crise économique de 2008, la crise Covid et le nécessaire « quoi qu’il en coûte » les ont fait replonger dans le rouge. La logique aurait voulu que le système revienne progressivement à l’équilibre, à l’instar de ce qui s’était passé à la suite de la crise financière. Malheureusement, les dernières données chiffrées concernant les années 2024 et 2025 montrent que ce n’est pas le cas et parlent d’elles-mêmes.

La courbe du déficit oscille

Le déficit (toutes branches confondues) – qui n’était que de 1,7 milliard d’euros en 2019 – est passé à 37,9 milliards en 2020 (année du Covid), 24,3 milliards en 2021, 19,7 milliards en 2022 et 10,8 milliards d’euros en 2023. Or, en 2024, au lieu de continuer à diminuer, le déficit est remonté à 15,3 milliards sans que l’on ait eu à déplorer une quelconque crise sanitaire. Et les projections pour 2025 sont de l’ordre de 20 milliards d’euros !

À l’heure où le gouvernement prépare le budget 2026, cette inflexion de la courbe du déficit se trouve au cœur de toutes les attentions et jette le discrédit sur notre système de protection sociale, que l’on a tendance à accuser de tous les maux. Selon la CFDT, la situation financière présente exige des mesures fortes afin que soit définie le plus rapidement possible « une trajectoire de retour à l’équilibre progressive et réaliste ».

Deux branches accusent un déficit qui doit être résorbé. La branche vieillesse (c’est-à-dire la retraite) avec un déficit qui se situe autour de 2,5 milliards d’euros en 2024 et en 2025… et surtout la branche santé, avec un déficit de 13,8 milliards en 2024 et de 16 milliards (c’est encore une estimation) pour 2025. « Plusieurs raisons expliquent la dégradation des comptes, analyse la secrétaire nationale Jocelyne Cabanal. Il y a incontestablement des besoins qui augmentent avec le vieillissement de la population et très peu d’investissements dans la prévention. Le fait qu’il n’existe plus de stratégie nationale de santé en France depuis 2022 n’est pas anodin. A cela s’ajoute des restrictions budgétaires et un manque de régulation du système. Nous devons davantage lutter contre les rentes de situation de certains professionnels du soin et contre la financiarisation de la santé. »

De nouvelles ressources

Si des économies peuvent être faites en luttant contre ces dérives, selon la CFDT, la priorité consiste à prévoir de nouvelles ressources pour répondre aux besoins de la population. Même si des réformes peuvent être conduites pour réaliser des économies, il sera impossible de revenir à l’équilibre sans une augmentation des ressources. C’est d’autant plus évident que la société française se révèle vieillissante et que les besoins en santé ne cessent de croître. Or, ces dernières années, la part des dépenses de santé prise en charge par la branche maladie par rapport au montant du PIB a eu tendance à diminuer. « Revenir à l’équilibre prendra du temps et nécessitera de mener une politique équilibrée visant à tenir les dépenses tout en se donnant les moyens d’investir pour l’avenir, affirme Jocelyne Cabanal. La politique des coups de rabot en vue de réaliser des économies immédiates nous conduit dans l’impasse. Cela ne permet ni de baisser les dépenses à long terme ni d’améliorer notre système de santé. »

Plusieurs pistes sont à étudier afin d’augmenter les ressources ; la plus sérieuse, à court terme, étant de faire évoluer la CSG1 et de remettre à plat la fiscalité relative aux placements et au capital. La CFDT revendique notamment que les bénéficiaires des successions les plus élevées soient mis à contribution – ce qui permettrait de ne pas augmenter les cotisations salariales et patronales. La question des aides aux entreprises est également sur la table. Une chose est sûre : la solution ne doit pas passer par la TVA sociale, défendue par une partie du patronat. La TVA sociale consiste en effet à augmenter le taux de TVA pour compenser une baisse des cotisations salariales ou patronales. C’est donc à la fois injuste (une taxe sur la consommation touche davantage les personnes qui consomment la totalité de leur salaire) et une opération blanche pour le système, lequel ne voit pas de cette façon ses ressources augmenter. « La TVA sociale, c’est du réchauffé ; elle n’a de sociale que le nom. C’est la taxe sur les ménages modestes ! », résumait Marylise Léon, au début du mois de juin, sur BFM TV.

Le patronat doit s’impliquer

En ce qui concerne les retraites, la balle est davantage dans le camp patronal. Après plusieurs semaines de négociations, le « conclave » arrive à son terme. Il ne reste plus que deux séances programmées (les 11 et 17 juin prochains) pour trouver un accord permettant à la fois de revenir sur les mesures les plus injustes de la réforme de 2023 (à savoir l’âge de départ, les inégalités femmes-hommes et la pénibilité) et remettre notre système sur les rails sur le plan financier.

La CFDT l’a dit haut et fort. Un système de retraite par répartition ne peut qu’être à l’équilibre financièrement sur le moyen et le long terme. « Les salariés d’aujourd’hui qui cotisent pour leurs aînés doivent avoir la certitude de pouvoir bénéficier d’une retraite demain. C’est ce qui fait la force et la légitimité de notre système », avance Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT, qui mène cette négociation. Or, seul un « bougé » de la partie patronale peut permettre de trouver un accord qui réponde aux deux objectifs de la négociation. « Il faut que les efforts soient équitablement répartis pour être accepté. Or, les entreprises n’ont pas été mises à contribution jusqu’à présent et refusent, pour l’instant, de l’être. Pourtant, vu le niveau du déficit prévu et les mesures de justice sociale nécessaires, nous ne sommes pas face à un obstacle insurmontable si chacun fait un pas vers l’autre », insiste Yvan Ricordeau.

Des arbitrages rendus en juillet

Pour le gouvernement, l’heure des arbitrages approche. Nous sommes dans ce que certains ont coutume d’appeler le money time. Après avoir lancé plusieurs ballons d’essai, commandé de nombreux rapports et organisé moult concertations, le gouvernement s’est engagé, en mars dernier, à rendre public ses choix budgétaires au début juillet. L’objectif (négocié avec Bruxelles) est d’arriver à 40 milliards d’euros d’économies (tous budgets confondus) afin de limiter le déficit budgétaire à 5,1 % du PIB en 2026 et de passer sous la barre des 3 % avant 2029.

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

Déjà, le ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard, laisse entendre que le gouvernement ne pourra faire autrement que d’agir sur les recettes (donc les impôts) malgré les promesses de ne pas les relever. Les nombreuses annonces concernant la fusion des agences de l’État, les contrôles renforcés, la baisse des dotations aux collectivités, les coups de rabot sur les jours de carence, les indemnités journalières ou encore les transports sanitaires ne permettent pas d’atteindre l’objectif affiché. Reste à espérer que les choix en matière de fiscalité se fassent dans un souci de justice sociale. La CFDT y sera particulièrement vigilante.