Temps de lecture 8 min
Extrait de l'hebdo n°3987
Les députés ont voté le 12 novembre la suspension de la réforme des retraites. C’est une victoire pour la CFDT, qui entend faire de cette pause un temps utile en vue de construire un nouveau système. La conférence sociale travail et retraites qui va débuter à la fin du mois pourrait constituer une première étape.

La suspension de la réforme des retraites est sur les rails, même si rien n’est encore définitivement gagné. Les députés ont en effet voté la mesure le 12 novembre dernier, mais le PLFSS1 se trouve à présent entre les mains des sénateurs, qui ne manqueront pas de revenir sur ce compromis entre le gouvernement Lecornu II et le Parti socialiste. Toutefois, puisque l’Assemblée nationale a le dernier mot, il est probable que cette suspension s’appliquera in fine… si le Premier ministre parvient à trouver un accord général sur le PLFSS.
Le dispositif général
Si l’on s’en tient à ce qui a été voté par les députés en première lecture, on connaît à présent précisément les modalités de cette suspension. L’âge minimal de départ à la retraite restera donc à 62 ans et 9 mois jusqu’au 1er janvier 2028. Idem pour le nombre minimal de trimestres ouvrant droit à une pension de retraite sans décote : il reste à 170 jusqu’au 1er janvier 2028. Ensuite, le décalage de l’âge et des trimestres reprendra sur le rythme initialement prévu, soit trois mois par an, jusqu’à atteindre 64 ans et 172 trimestres.
Concrètement, la première génération qui va bénéficier de cette suspension est celle née en 1964 ; elle pourra partir à 62 ans et 9 mois (au lieu de 63 ans) avec 170 trimestres (au lieu de 171). Les personnes nées entre le 1er janvier et le 31 mars 1965 pourront également partir à 62 ans et 9 mois (au lieu de 63 ans et 3 mois) avec 170 trimestres (au lieu de 172).
Pour les personnes nées après le 31 mars 1965, la réforme reprend son cours, c’est-à-dire que l’âge légal est de nouveau décalé de trois mois par an. La durée de cotisation augmente elle aussi, d’un trimestre par an. La génération née en avril 1965 pourra donc partir à « seulement » 63 ans (au lieu de 63 ans et 3 mois) avec un minimum de 171 trimestres (au lieu de 172). La génération née en 1966 partira au minimum à 63 ans et 3 mois (au lieu de 63 ans et 6 mois), celle née en 1967 à 63 ans et 6 mois, celle née en 1968 à 63 ans et 9 mois (au lieu de 64 ans). Pour les personnes nées en 1969 et après, ce sera 64 ans.
En tout, cinq générations (1964, 1965, 1966, 1967 et 1968) sont impactées, ce qui permet au gouvernement d’estimer le nombre de bénéficiaire à 3,5 millions pour un coût de 400 millions d’euros en 2026 et de 1,8 milliard en 2027.
Carrières longues et catégories actives
La suspension de la réforme concerne également les carrières longues, ce qui n’était pas forcément prévu au départ. La logique est identique. Les compteurs (âge et trimestres) sont bloqués jusqu’au 1er janvier 2028. Les générations qui respectent les critères « carrières longues » et qui sont nées entre 1964 et le premier trimestre 1965 pourront partir à 60 ans et 3 mois avec 170 trimestres (au lieu de 60 ans et 6 mois et 171 trimestres). Après le 1er janvier 2028, le décalage reprend.
La logique est la même en ce qui concerne la catégorie active de la fonction publique et la catégorie active spécifique. La suspension permet de gagner un trimestre. Et, là aussi, cinq générations sont impactées : 1969, 1970, 1971, 1972 et 1973 pour la catégorie active ; de 1974 à 1979 pour la catégorie active spécifique.
Des améliorations pour les mères
Outre la suspension de la réforme, les députés ont approuvé des mesures (largement issues du « conclave retraites ») en faveur des femmes ayant eu des enfants. Si le PLFSS est voté, la retraite des femmes ayant eu un enfant sera calculée sur les 24 meilleures années (au lieu des 25) et sur les 23 meilleures années pour celles qui ont eu deux enfants et plus. L’idée est de compenser la moindre dynamique salariale due à la maternité. Autre avancée notable : deux trimestres acquis au titre de la maternité, l’éducation, l’adoption et au titre d’un congé parental pourront être pris en compte pour les carrières longues, alors que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le nombre de femmes pouvant prétendre au dispositif « carrières longues » pourrait alors augmenter sensiblement.
La CFDT se félicite tout particulièrement de l’adoption de ces deux mesures, qu’elle avait portées lors du conclave. Elles permettent d’atténuer un peu la dureté de la réforme de 2023 en ce qui concerne les femmes. Les études ont montré que le décalage de l’âge légal impacte nettement les femmes ayant eu des enfants. Or nombre d’entre elles ont cumulé les trimestres nécessaires permettant de faire valoir leur droit à la retraite bien avant d’atteindre les 64 ans.
Une suspension en vue d’une réforme
Cette suspension est évidemment importante pour les salariés qui vont en bénéficier, mais ce qui est réellement considéré comme une victoire CFDT, c’est le fait qu’elle offre l’opportunité de réfléchir et de préparer une nouvelle réforme en vue de l’élection présidentielle de 2027. Pour le dire autrement, la suspension votée en l’état permettra de ralentir le rythme de la réforme. C’est incontestablement une avancée bénéficiant aux générations concernées, mais l’objectif de la CFDT est bien d’obtenir une réforme plus juste, à terme.
La conférence sociale sur le travail et les retraites que lance le gouvernement pourrait constituer la première étape de cette nouvelle réflexion. C’est en tout cas dans cet état d’esprit que la CFDT l’aborde. « Nous espérons que les travaux de cette conférence pourront remettre de la sérénité et du sérieux dans les débats », souligne Thibaut Sellier, secrétaire confédéral chargé des retraites. L’enjeu consistera donc à confronter l’ensemble des points de vue et à dégager des perspectives avec, en ligne de mire, le programme des candidats à l’élection présidentielle.
Une chose est sûre, cette conférence n’est en aucun cas une négociation ou un nouveau conclave mais bien un temps d’appropriation des enjeux qui doit nourrir la prochaine réforme… tant il paraît peu probable que la réforme d’Élisabeth Borne reprenne son cours, comme si de rien n’était, en 2028. C’est l’un des enseignements de la période. Cette « blessure démocratique » qu’a été la réforme des retraites, selon les mots de Marylise Léon, est loin d’être refermée.