Non, les Français ne sont pas des fainéants !

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icone Extrait de l'hebdo n°3979

Le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a annoncé qu’il renonçait à la suppression de deux jours fériés. Voulue par son prédécesseur, cette mesure avait ulcéré les Français, accusés de travailler moins que leurs voisins européens. Mais qu’en est-il vraiment ?

Par Claire NillusPublié le 23/09/2025 à 12h00

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© Bruno Delessard/Challenges-RÉA

« L’une des clés du redressement de l’économie du pays réside dans la durée du travail », arguait l’ex-Premier ministre François Bayrou lors de la présentation de son plan d’économies en juillet 2025, convaincu que la suppression de deux jours fériés permettrait de « gagner en productivité ». De son côté, le journal Les Échos publiait, en juin dernier, « Nombre d’heures travaillées : les Français toujours à la traîne de leurs voisins européens », indiquant néanmoins plus loin dans l’article que cet indicateur était « à manier avec précaution ».

Un calcul biaisé

Quel est donc cet indicateur qui nous fait porter le bonnet d’âne ? C’est une donnée chiffrée de l’OCDE1 qui, en 2024, dénombre 666 heures travaillées annuellement par habitant en France contre 770 pour les Européens. En réalité, cette moyenne est calculée par rapport à la population globale, en prenant en compte les personnes inactives comme les enfants, les jeunes et les retraités. La démographie de chaque pays influe donc sur ce résultat – or la France est l’un des pays de l’Union européenne où la natalité est la plus forte !

Par ailleurs, les taux d’emploi des jeunes et des seniors en France sont plus bas que chez nos voisins, ramenant le taux d’emploi de la population en âge de travailler à 68,5 % (71 % chez les hommes et 66 % chez les femmes), derrière la Suisse (80,7 % en moyenne), le Royaume-Uni (75,1 %), le Portugal (72,4 %) et le Luxembourg (70,3 %). Enfin, l’explosion des temps partiels, dont le nombre a triplé depuis 1975 en France, fait automatiquement chuter le nombre d’heures travaillées pendant l’année par cette même population. « Ni la suppression de deux jours fériés ni la monétisation de congés payés – autre proposition du gouvernement sortant – ne constituent une solution aux chiffres du chômage structurel dans notre pays et aux temps partiels subis », recadre Isabelle Mercier, secrétaire nationale de la CFDT chargée des questions liées au travail.

L’impact relatif des jours fériés

L’idée de « remettre la France au travail » perdure néanmoins, vingt-cinq ans après le passage à la semaine de 35 heures. L’opinion selon laquelle les Français ne travaillent pas assez est toujours bien vivace dans le débat public, et même partagée par une partie de la population. L’année dernière, une étude de l’institut Montaigne indiquait que 39 % des Français (notamment les électeurs de droite) pensent que l’on ne travaille pas assez dans notre pays.

Or, si l’on se réfère à un autre calcul de l’OCDE, un salarié français à temps complet travaille en moyenne 38,7 heures par semaine. C’est plus que 35 heures… De son côté, l’office statistique européen Eurostat comptabilise 36 heures par semaine en moyenne pour l’ensemble des personnes occupées dans l’Union. Au Danemark, en Autriche et en Allemagne, la durée de travail hebdomadaire est même estimée à 33,9 heures, et à 32 heures chez les Néerlandais.

Quant à l’impact du nombre de jours fériés sur une moindre durée du travail des Français, il est également à relativiser puisque, avec onze jours fériés par an, la France se situe sous la moyenne des pays de l’Union européenne, qui atteint douze jours annuels (classement établi par les services européens de l’emploi, Eures).

Quelle durée effective du travail ?

Finalement, note la Dares, l’institut statistique du ministère du Travail, « la mesure de la durée individuelle du travail des actifs est un sujet complexe ». Face à « la multiplicité des concepts mobilisables et les différentes sources disponibles », le ministère du Travail a donc opté pour deux types de relevés complémentaires, appuyés sur les enquêtes de l’Insee : la durée « effective », qui lisse le temps travaillé pendant l’année tenant compte des jours fériés, des congés et des pratiques des entreprises en matière d’aménagement du temps de travail ; la durée hebdomadaire, dite « habituelle », du travail d’un emploi à temps plein, aux 35 heures, pour une semaine « normale » (sans congés ni RTT).

Avec cette méthode, en 2024, la durée effective annuelle du travail revient à 1 592 heures en moyenne, pour une durée hebdomadaire habituelle de 36,9 heures. C’est plus qu’en Allemagne lorsqu’on y ajoute les heures des travailleurs indépendants (2 169 heures en moyenne sur l’année et 47,2 heures par semaine) et les heures supplémentaires. En 2024, dans le secteur privé, parmi les salariés à temps complet qui les déclarent, le nombre moyen d’heures supplémentaires avoisine 103 heures par salarié. Et le casse-tête se prolonge avec la prise en compte des heures supplémentaires non déclarées, et donc invisibilisées, des salariés au forfait jours…

Les heures supplémentaires non comptabilisées

Depuis la création du forfait jours, en 2000, le travail des cadres (catégorie professionnelle désormais majoritaire dans notre pays) n’est pas calculé en nombre d’heures par semaine. Selon la dernière enquête emploi de l’Insee, les cadres travaillent en moyenne 43 heures par semaine (45 heures pour les managers et 41 heures pour les autres cadres) ; 46 % de cadres déclarent travailler entre 40 et 49 heures, 22 % déclarent 50 heures et plus, 43 % disent travailler le soir et/ou le week-end une fois par semaine, 58 % consultent leurs mails et prennent des appels téléphoniques en dehors de leur temps de travail (dont 33 % pendant les vacances). Ce n’est pas rien.

Selon la CFDT, décréter qu’il faut « réconcilier les Français avec le travail », tambourinait encore récemment François Bayrou, omet, en outre, le rôle des employeurs dans le monde du travail. « Si l’on compare, il faut tout comparer !, résume Isabelle Mercier. Pointer du doigt les arrêts maladie et la hausse de l’absentéisme, sous-estimer la part exponentielle des temps partiels imposés, les défaillances d’entreprises qui n’ont jamais été aussi élevées qu’en ce moment, l’organisation du travail selon les secteurs d’activité, c’est déconsidérer les travailleurs d’une part et c’est se décorréler de la responsabilité des entreprises d’autre part. Nos enquêtes montrent que les Français aiment leur travail mais tous ne peuvent pas travailler, et ceux qui ont un emploi aimeraient travailler mieux. »

Qualité du travail versus temps de travail

Ainsi, il n’y a pas plus de lien entre un temps de travail qui serait augmenté et la diminution du chômage, mais également entre un temps de travail qui serait augmenté et l’augmentation de la productivité. Car sans un travail de qualité, peut-on dire que travailler plus nous rend plus productifs ? Est-on plus efficace au bout de la septième heure de travail qu’à la fin de la deuxième ? « La performance d’une entreprise baisse forcément quand le travail est pénible. Aujourd’hui, l’on sait que les risques psychosociaux dépassent presque le nombre de troubles musculosquelettiques, qui étaient la première cause d’arrêt maladie. Il est temps d’en tenir compte », poursuit la secrétaire nationale de la CFDT.

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Alors, la question du temps de travail est-elle la vraie question ? Elle est en tout cas totalement incomplète si elle n’envisage pas la qualité du travail effectué, la réindustrialisation de la France, la stratégie des entreprises et celle de l’État employeur. « Malheureusement, les employeurs ne veulent pas aller sur ce sujet et renvoient à des données comptables. Tout le monde a compris qu’il fallait fournir des efforts. Mais, s’agissant du travail, l’effort doit porter sur la qualité du travail, dans une approche qui protège la santé des salariés afin de maintenir et d’améliorer la performance des entreprises », insiste Isabelle Mercier.