L’autre Amérique

icone Extrait du  magazine n°513

Mondialement connue pour son interprétation de Nellie Oleson dans la série La Petite Maison dans la prairie, Alison Arngrim est aux antipodes de ce personnage. Très engagée contre la maltraitance des enfants, l’actrice américano-canadienne est aussi une fervente militante de la culture pour tous.

Par Guillaume LefèvrePublié le 02/05/2025 à 08h26

Alison Arngrim
Alison Arngrim© Gore Megaera

Depuis bientôt vingt ans, vous sillonnez les villages de France avec vos spectacles. C’est une trajectoire plutôt inhabituelle pour une actrice d’outre-Atlantique à la renommée mondiale. Racontez-nous votre parcours.

Tout est parti d’une rencontre, il y a vingt ans, avec mon ami Patrick Loubatière, avec qui je joue aujourd’hui en duo sur scène. Un jour, il m’a dit : « Mais pourquoi on ne ferait pas un spectacle autour de La Petite Maison… en français ? » J’ai hésité, et puis j’ai rapidement dit oui. C’était une idée un peu folle au départ.

D’abord, il a fallu que j’apprenne la langue. Nous avons ensuite décidé de nous produire exclusivement dans les villages et petites communes pour retrouver l’atmosphère et l’ambiance de la série. C’est aussi, selon moi, une façon de rendre la culture accessible à des publics qui sont parfois très éloignés des grands centres urbains et des grandes salles de spectacle. J’aime cette proximité. Une association ou un maire nous contacte et on s’organise simplement. C’est un moment privilégié.

Chaque soir est différent. Nous jouons dans des salles des fêtes, dans des granges ou encore sur des terrains de basket… des endroits tout aussi insolites les uns que les autres. À chaque fois, il faut littéralement «construire» le décor, organiser la salle, gérer les imprévus. Quand on se déplace, on sait aussi qu’on est très attendus.

Les gens du village se mobilisent, viennent donner un coup de main. On vient nous voir en famille, entre voisins. C’est un véritable esprit de communauté qui se crée autour de l’évènement. L’esprit « Little House »
[petite maison en anglais] !

La série La Petite Maison dans la prairie a déjà fêté ses 50 ans. Comment expliquez-vous sa longévité ?

C’est une série qui parle à tout le monde. Il est facile de s’identifier aux personnages, à leurs valeurs familiales et humaines. La vie en milieu rural, ça parle également à beaucoup de gens. Tout le monde n’a pas un style de vie à la Friends dans un loft à New York [rires]. Il faut dire que c’est aussi une série qui a été avant-gardiste sur de nombreuses thématiques. On abordait énormément de sujets pour alerter et dénoncer : le racisme, l’antisémitisme, les addictions à l’alcool, à la drogue, les abus et les violences sexuelles contre les enfants. Dans un épisode, il y a également une manifestation pour les droits des femmes.
Quand on parle des traumatismes liés à la guerre de Sécession [de 1861 à 1865], c’est une façon de parler de la guerre du Viêt Nam, concomitante avec la diffusion de la série.

“La Petite Maison dans la prairie était déjà progressiste à l’époque, un programme familial qui prône le vivre-ensemble, l’égalité et la tolérance.”

Alors qu’une reprise du programme a été annoncée par Netflix, des proches de Donald Trump ont prévenu qu’ils veilleraient à ce que la série ne tombe pas dans le « wokisme ». Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Qu’ils regardent la série originale. La Petite Maison dans la prairie était déjà progressiste à l’époque, un programme familial qui prône le vivre-ensemble, l’égalité et la tolérance. Soyons plus que fiers d’être « woke » [éveillés], soyons fiers de dénoncer les injustices et de combattre les discriminations. Dans une période très trouble, où ceux qui sont au pouvoir n’ont que la stratégie du chaos en tête, ne lâchons surtout pas.

Vous avez fait de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et pour la protection de l’enfance le combat d’une vie ; un sujet sur lequel, là non plus, il ne faut rien lâcher.

Jamais. Il faut en parler. Encore et encore. Plus on en parlera, plus les victimes pourront s’exprimer. Plus les coupables seront punis. Je pense que de nombreuses personnes ont du mal à imaginer l’ampleur des violences sexuelles. Et pourtant, elles sont là, dans le quotidien de nombreuses personnes, de nombreuses familles. Ce sont des horreurs sans nom. Je pense à Gisèle Pelicot et à son immense courage d’avoir témoigné.

“Lorsqu’on réalise un film avec des animaux, les règles à respecter font l’épaisseur d’un roman, celles concernant le droit des enfants font l’équivalent de quelques pages.”

Le travail mené par votre association a permis de renforcer les lois dans plusieurs États américains, sur l’inceste notamment.

Vingt-huit États ont durci leur arsenal législatif et plus de cinquante lois fédérales ont été votées grâce à notre action. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire. Nous partons de très loin. C’est inacceptable que dans certains États américains les peines prononcées contre les personnes ayant commis des crimes incestueux soient moins lourdes que celles prononcées contre les autres prédateurs sexuels, simplement parce qu’ils sont de la famille de la victime.

Il y a bientôt dix ans, #MeToo mettait en lumière la réalité des violences dans le monde du cinéma et de l’audiovisuel. Où en est-on aujourd’hui ?

Encore très loin du compte. Vous savez, lorsqu’on réalise un film avec des animaux, les règles à respecter font l’épaisseur d’un roman, celles concernant le droit des enfants font l’équivalent de quelques pages.
Il y a beaucoup plus de protections juridiques en place qu’il y a cinquante ans, évidemment, il y a aussi une prise de conscience, mais il faut faire plus. Des parents confient leur enfant à des adultes juste parce qu’on leur promet qu’il va devenir une star.

Le prédateur sexuel est souvent en contact direct avec ses victimes. Dans le sport, c’est le coach, le médecin… Celui de l’équipe nationale de gymnastique américaine a pu agresser plus de 250 fillettes et adolescentes pendant deux décennies. Dans notre profession, la menace, c’est le manager, le photographe.

Il faut sans cesse alerter sur les dangers encourus. On ne le répétera jamais assez. Avec l’explosion de l’industrie en ligne, des contenus sur des plateformes comme YouTube, nous sommes face à un risque d’exploitation des enfants d’une ampleur sans précédent. Malheureusement, l’histoire ne cesse de se répéter.

Depuis le début de votre carrière, vous êtes aussi une militante syndicale.

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

Bien sûr ! Je suis aujourd’hui membre de la Guilde des acteurs de l’écran – Fédération américaine des artistes de la télévision et de la radio (SAG-AFTRA). Lorsqu’on me propose un travail, j’ai toujours la même approche. Montrez-moi le script. Si c’est drôle ou que ça me plaît, la première étape est franchie. Ensuite, je regarde si le projet est viable économiquement. Enfin, je pose la question fatidique : « Are you unionize ? » [Êtes-vous syndiqué ?]. Si les trois critères sont réunis, alors c’est bon pour moi.

C’est indispensable de pouvoir travailler dans de bonnes conditions et pour faire entendre sa voix dans un milieu en évolution et révolution permanentes. J’ai commencé ma carrière au moment où la cassette VHS faisait son apparition. Nous sommes aujourd’hui à l’ère du streaming et des plateformes mondiales. Je me souviens de mes premières grandes manifestations, dans les années 80, pour une meilleure redistribution des revenus avec l’essor des nouvelles technologies et des échelles de diffusion. Quarante ans plus tard, en 2023, j’étais au côté des scénaristes sur la picket line [ligne de piquetage, soit piquet de grève], devant les locaux de Netflix, pour les soutenir dans le conflit qui les opposait aux employeurs des studios de cinéma et de télévision de Hollywood [Apple, Disney, Netflix, Sony…]. Au cœur des revendications, les salaires et les risques que fait peser l’intelligence artificielle sur leur métier. Partout, le combat continue.