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Pénibilité, inaptitude, bas salaires… : le combat d’une section face à une direction paternaliste

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iconeExtrait de l’hebdo n°3864

Sur le site de Diffusion Plus, à Gaillon (Eure), l’équipe CFDT demeure offensive face à une direction paternaliste et peu encline au dialogue. Sa proximité avec les salariés lui a permis d’engranger 82 % des voix aux dernières élections professionnelles.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 08/03/2023 à 13h00

Alexandre, Lydie et Katy lors d’une permanence du CSE…
Alexandre, Lydie et Katy lors d’une permanence du CSE…© Syndheb

« Le mardi, c’est sport ! » Le délégué syndical Alexandre Troppée a à peine le temps de s’asseoir et d’échanger quelques mots qu’il doit s’interrompre pour accueillir un salarié à la permanence du CSE1. Car chaque mardi, de 8 h 45 à midi et de 13 h 30 à 16 heures, la section CFDT tient le local ouvert afin de répondre aux multiples demandes en billetterie et offre de loisirs. Mais il y a également beaucoup de questions et d’inquiétudes dans cette entreprise de routage et de diffusion (mise sous papier ou sous enveloppes de catalogues, prospectus publicitaires, courriers électoraux, etc.) qui emploie 179 salariés (dont 60 % de femmes).

Cas d’inaptitude et restrictions médicales

Aujourd’hui, c’est une salariée qui demande à être accompagnée dans le cadre de son entretien au licenciement pour inaptitude – « un vrai problème dans l’entreprise puisque, chaque année, cinq ou six salariés partent pour ce motif », précise Alexandre. « Soit entre 2 et 5 % de l’effectif ouvrier, et beaucoup de cas de restrictions médicales », complète Kathy Lucas, consultante chez Syndex, qui suit l’équipe depuis 2016 et en connaît bien les problématiques.

Dans cette usine où 90 % des postes sont des emplois ouvriers peu qualifiés, le travail est difficile. « On est tout le temps debout, on porte beaucoup. Il faut sans cesse charger les machines, que ce soit en catalogues, en prospectus… On porte entre trois et six tonnes par jour. Pourtant, on n’entre pas dans les critères de pénibilité », détaille Alexandre. Sans parler des cadences. Et même si la direction a fait l’acquisition d’engins de levage permettant de hisser le papier jusqu’à hauteur de machine (« avant, il fallait se baisser jusqu’au sol pour récupérer les catalogues »), les articulations (coudes, épaules, poignets) et le dos sont fortement sollicités.

Horaires décalés, produits toxiques… : pénibilité à tous les étages

En tant que conducteur régleur, Alexandre subit les émanations des encres et solvants lorsqu’il ouvre les machines, même si les encres naturelles remplacent progressivement les anciennes, toxiques. Le travail en horaires décalés (en équipe du matin, entre 6 heures et 13 h 20, puis en alternance une semaine sur deux en équipe du soir, entre 13 h 20 et 20 h 40) fatigue les organismes et fragilise la santé des travailleurs. Et puis il y a les conséquences sur la vie de famille.

Katy et Alexandre devant l’entrée du site où ils travaillent.
Katy et Alexandre devant l’entrée du site où ils travaillent.© Syndheb

« Une semaine sur deux, je vois mon fils une heure par jour, c’est-à-dire le matin le temps de l’emmener à l’école. Sinon, je suis obligée de le confier à ma belle-mère. Heureusement qu’elle est là pour s’en occuper, car c’est vraiment galère de trouver une nounou avec de telles contraintes horaires », détaille Katy, 46 ans, qui a déjà passé vingt-deux années chez Diffusion Plus. Depuis les élections de décembre 2022, à l’issue desquelles la CFDT a raflé 82 % des suffrages (17 % pour la CGT, la seule autre organisation syndicale), elle est élue au CSE. « On avait une équipe de nuit à une époque, mais elle a été supprimée à cause de la baisse de l’activité. »

Management paternaliste et piètre dialogue social

Créée en 1985 par deux amis industriels toujours aux commandes de l’entreprise à l’âge de 75 ans, Diffusion Plus (devenue par la suite un groupe comprenant plusieurs entités) a toujours adopté un management paternaliste et pris des décisions de manière unilatérale. Bien entendu, la qualité du dialogue social s’en ressent. « On essaye de négocier un accord QVT1 depuis 2017, mais il n’y a pas d’ouverture pour l’instant », indique Alexandre. Idem au sujet de l’ancienneté, que la CFDT tient à faire reconnaître et pour laquelle elle se bat à l’occasion de toutes les négociations annuelles obligatoires. Fin de non-recevoir, alors que les salaires des ouvriers plafonnent à quelques dizaines d’euros (en brut) au-dessus du Smic, même après des années passées dans la boîte ! « Il n’y a aucune évolution dans l’entreprise », confirme, amère, Christelle, 41 ans, qui compte vingt ans chez Diffusion Plus, trésorière et secrétaire adjointe du CSE. La CFDT a toutefois obtenu le versement de primes, dont une prime Covid de 300 euros ; et lors des dernières NAO, une prime de 1 000 euros par salarié.

C’est aussi sur le front de la formation que l’équipe CFDT voudrait obtenir des améliorations, entre autres en matière de reconversion des salariés ou de préparation aux nouvelles technologies. Car, affirme Kathy Lucas, « le segment du marketing direct est fragile, en déclin et surtout en pleine mutation ». Ce que confirme l’équipe : l’âge d’or des grands contrats (La Redoute, 3 Suisses, Créateurs de Beauté, Canal +…) est révolu. Ainsi, face aux profondes évolutions de l’activité, la CFDT se bat comme elle peut. « On demande des formations, notamment dans le numérique, mais la direction ne veut pas y mettre le moindre euro », regrette Alexandre.

Proximité, discipline et formations fréquentes

Malgré ce contexte nettement défavorable, l’équipe CFDT tient bon et est de longue date première organisation syndicale. Une place bien méritée, qui récompense le travail de proximité et de présence auprès des salariés, mais également la discipline que s’imposent les membres de la section CFDT. Par exemple, aucune heure de délégation n’est prise le lundi ou le vendredi. « Pour qu’on n’aille pas nous reprocher de prendre des week-ends de trois jours. Les heures de délégation, on les prend ici, dans l’entreprise ! », précise Alexandre ; une question d’image mais aussi d’efficacité.

L’équipe s’impose de suivre « au moins deux formations par an » – VSST1, formations juridiques aux différents contrats de travail, etc. « Nous faisons en sorte de toujours nous remettre en question, d’éviter de stagner sur nos acquis. Tout change tellement vite. Et puis le temps des formations, ça permet de rencontrer des militants de secteurs différents du nôtre, ça ouvre sur d’autres réalités professionnelles ! », apprécie Sylvie, secrétaire du CSE. C’est en outre des occasions de nouer des contacts et d’élargir le réseau. « C’est aussi ça, la force de la CFDT : on n’est pas tout seul dans nos entreprises », conclut Alexandre, qui tient d’ailleurs à remercier chaleureusement le Syndicat Communication, Conseil, Culture de Haute-Normandie pour son indéfectible soutien. Le syndicalisme, c’est clairement un sport d’équipe.