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Extrait de l'hebdo n°3989
Alors que 2026 marque la fin du deuxième mandat des CSE post-ordonnances, de nombreuses entreprises rognent sur les moyens alloués au dialogue social en dénonçant les accords passés.

Ces derniers temps, il souffle un vent glacé sur les relations sociales. À l’échelle nationale, le patronat a décidé de bouder les réunions qui permettraient pourtant de sortir de l’ornière, tant au sujet des retraites que de l’emploi. Au niveau de l’entreprise, le tableau n’est guère plus reluisant. La liste des grandes entreprises remettant en cause les accords de dialogue social et les moyens mis à la disposition des organisations syndicales pour le faire vivre ne cesse de s’allonger.
Chez Auchan, la direction a choisi de dénoncer unilatéralement l’accord signé en 2019… si bien que, depuis le 31 octobre 2025, le groupe ne dispose plus d’aucun accord de dialogue social. « Alors que l’on négociait les bases d’un nouvel accord, la direction nous a transmis une nouvelle mouture, le 14 octobre dernier, avec un souhait à exprimer. Mais le texte n’a jamais été soumis à signature ! affirme Gilles Martin, le DSC1 du groupe Auchan. Jusqu’alors, on avait une architecture qui prévoyait des “délégués relais” implantés dans chaque territoire, l’organisation d’une assemblée générale annuelle ainsi que des heures de délégation afin de préparer les réunions du CSE. Tout cela disparaît. »
Voilà donc un très mauvais signal envoyé aux partenaires sociaux dans un contexte social déjà tendu – du fait de la renégociation d’un autre accord, sur le temps de travail, cette fois. « Il n’est pas concevable qu’il n’y ait pas d’accord de dialogue social dans une entreprise comme Auchan, qui emploie 72 000 salariés », ont écrit, à la mi-novembre, la CFDT et la CFE-CGC dans un courrier adressé à la direction – lui demandant de rouvrir sans tarder la négociation. Pour l’instant, celle-ci fait la sourde oreille.
Une remise en cause quasi systématique
Malheureusement, Auchan est loin d’être le seul exemple. À La Poste, la mise en place, fin 2024, du comité social et économique (les ordonnances Macron et la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ayant rendu obsolète le modèle de dialogue social en vigueur dans l’entreprise) s’est accompagnée d’une baisse drastique des moyens alloués aux élus. « On est entrés dans l’hiver du dialogue social », affirment les négociateurs CFDT, qui estiment à 30 % la perte des moyens au niveau national.
Selon Christophe Clayette, secrétaire confédéral chargé du dialogue social, aucun secteur n’échappe à cette remise en cause, qu’il qualifie de « systémique » : « Les effets cumulatifs de la centralisation, la concentration et la professionnalisation du dialogue social consécutifs aux ordonnances engendrent un dialogue social de surface et une perte de proximité avec les salariés, ce que confirment les enquêtes les unes après les autres. »
Le 22 janvier prochain, Syndex et l’Ifop rendront public leur huitième baromètre relatif à l’état du dialogue social en France. Si l’édition 2024 (publiée en février 2025) pointait déjà une appréciation très diverse du dialogue social selon leurs acteurs – 7,8/10 côté dirigeants contre 5,3/10 côté représentants du salarié et 6/10 côté salariés –, la tendance devrait rester sensiblement la même en 2025. « Ces derniers temps, on a vu se développer des CSE par buisness unit ou par métiers, ce qui a pour conséquence de supprimer la proximité territoriale autant que la diversité des métiers », note Claire Morel, de Syndex. Sans chercher à analyser l’intérêt des employeurs à se priver ainsi d’un dialogue social de proximité, elle note « un enjeu financier évident » derrière cette remise en cause des accords, laquelle permet notamment de faire des économies en supprimant des heures de délégation à tout va.
Quand la direction cherche à s’accaparer le pouvoir
Cette situation, les élus de Relais Fnac (51 magasins en dehors de Paris et 2 300 salariés) s’apprêtent à l’expérimenter de manière dramatique, la direction ayant décidé de dénoncer l’accord de dialogue social de 2018, décrit à l’époque par la CFDT comme plutôt avantageux au regard des ordonnances Macron. Convoquées en février 2025 pour négocier un avenant à l’accord, les organisations découvrent, stupéfaites, les ambitions affichées par la direction (suppression des CSE et CSSCT2 régionaux au profit d’un CSE et d’un CSSCT central, passage de 200 à 70 représentants de proximité…), une provocation qui fait capoter la négociation. « Sous couvert de simplification, cet avenant constitue une régression sociale majeure. Il affaiblit la proximité syndicale, réduit les moyens d’action, dévalorise les parcours militants et démantèle le maillage syndical, explique la déléguée syndicale centrale Christelle Schaeffer. La direction veut reprendre le pouvoir en pointant le coût du dialogue social, mais quand on lui demande des chiffres, elle n’en a pas à nous opposer. » Une nouvelle négociation a commencé le 17 novembre dernier, mais la direction éprouve les mêmes envies de réduire la voilure.
Attention au retour de bâton !
Ce sentiment d’une « rupture de dialogue voulue par la direction » est largement partagé par Gilles Martin, chez Auchan : « Il y a une optimisation financière évidente mais la réaction épidermique risque de coûter in fine plus cher à la direction que ce qu’elle espérait économiser au départ. » Le délégué central n’exclut pas de voir les enquêtes CSE locales à la charge de l’employeur se multiplier dans les mois à venir. « Quand on contraint les partenaires sociaux, on affaiblit le pouvoir des salariés autant qu’on abîme le dialogue social. » Les délégués sont conscients qu’il est difficile de mobiliser les salariés sur la baisse des moyens syndicaux, mais ils n’entendent pas baisser les bras.