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Le syndicalisme face à l’extrême droite
Face à la montée de l’extrême droite et à la banalisation de ses idées auprès des travailleurs, l’action syndicale est plus que jamais nécessaire. Le sujet est complexe et exige une nouvelle approche. À tous les niveaux de l’organisation CFDT, des militants se mobilisent.

C’était il y a tout juste un an. Les résultats aux élections législatives qui ont suivi la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron provoquaient un séisme : le Rassemblement national obtenait 31 % des voix au premier tour. Le parti Reconquête ! ajoutait ses 5 %. Au total, l’extrême droite se retrouvait en tête dans 93 % des communes françaises. « On s’est pris un mur », confiait, sonné, un responsable CFDT.
Après la sidération, le sursaut ne s’est pas fait attendre. Comme d’autres formations démocratiques, les syndicats organisaient la riposte. « Faire barrage contre l’extrême droite » devenait le slogan d’une mobilisation commune devenue urgente. « Mais à l’époque, nous avons eu des réactions hostiles de certains militants ou adhérents, nous disant qu’ils ne souhaitaient pas participer à la distribution de tracts, témoignent plusieurs membres du groupe de lutte contre l’extrême droite, le LED CFDT. Certains nous disaient ne pas accepter qu’on leur dise pour qui voter. »
Au sein de la CFDT, qui a toujours défendu des valeurs incompatibles avec les discours de l’extrême droite, ces paroles créent un choc. L’évènement souligne qu’un cap a été franchi : celui de la banalisation, de l’acceptabilité des idées d’extrême droite, y compris au sein des troupes CFDT. « Face à cela, on ne pouvait plus se contenter de mots. Il y avait urgence, dans notre organisation, à réfléchir et agir autrement », indique Olivier Guivarch, secrétaire national chargé du dossier. Même si le fait d’appartenir à un syndicat constitue encore un rempart 1, intensifier la lutte contre les idées d’extrême droite est alors devenu prioritaire.
“Certains de nos adhérents assument ouvertement de voter RN. Ils ne voient pas où est le problème avec leur engagement à la CFDT.”
Partout, une parole de plus en plus décomplexée
Dans tous les secteurs, y compris dans ceux qu’on imaginait préservés, l’influence des idées d’extrême droite est indéniable. Que ce soit chez les cheminots, les douaniers, dans les fonctions publiques, le secteur agricole (la Coordination rurale a renforcé sa présence dans les chambres d’agriculture à l’issue du scrutin de janvier 2025) ou la santé, des militants notent « une parole de plus en plus décomplexée » (lire : Les métiers du soin ne sont pas épargnés). Plus inquiétant encore : « Certains de nos adhérents assument ouvertement de voter RN. Ils ne voient pas où est le problème avec leur engagement à la CFDT. Ils dissocient le syndicat dans le cadre professionnel et l’extrême droite pour le bulletin de vote ! », note Éric Fievez, le secrétaire général du Syndicat Interco CFDT Pénitentiaire. Dans son secteur, « beaucoup d’agents imaginent qu’avec une personne “à poigne”, cela va résoudre tous les problèmes, notamment le climat de violence dans, et maintenant, hors des prisons. Ils disent : “On se fait tirer dessus, on risque chaque jour de se faire agresser quand on ouvre une cellule.” Ils veulent des réponses de fermeté. Dans ce contexte-là, on a du mal à faire entendre le discours CFDT ».
À l’école, des agents sous pression
« Dans l’enseignement public, un agent sur cinq a voté extrême droite », se désole Alexis Torchet, de la Fédération Éducation, Formation, Recherche Publiques (ex-Sgen-CFDT). Sa collègue, Valérie Dufour, secrétaire générale du syndicat CFDT Formation et Enseignement Privés de Picardie, peut, elle aussi, témoigner de l’influence grandissante de l’extrême droite, « plus nette encore depuis la Manif pour tous ». Et de citer plusieurs cas où, sous la pression de chefs d’établissement ou d’associations d’extrême droite, comme « Parents vigilants », certaines sorties scolaires (projection de film, par exemple) ou certains programmes pédagogiques (la contraception…) ont pu être suspendus, supprimés ou édulcorés. « Je me suis fait traiter de “meurtrière de bébés” par un chef d’établissement après être intervenue pour dire qu’on n’avait pas à influencer les élèves », relate Valérie. Un exemple qui dit beaucoup de l’hystérisation ambiante.
“Dans la salle des profs, on ne discute plus des sujets qui fâchent. On préfère laisser passer. D’un côté, la parole se libère, de l’autre, on se tait, on n’ose pas contrer.”
Alors comment lutter ? La tâche est complexe. « Dans la salle des profs, on ne discute plus des sujets qui fâchent. On préfère laisser passer. D’un côté, la parole se libère, de l’autre, on se tait, on n’ose pas contrer », déplore Alexis Torchet. « Comment parler du sujet sans se mettre sur la figure ? C’est un sujet de plus en plus difficile à aborder en section », confirme un représentant du secteur de la santé.
« Il est clairement apparu qu’il y avait besoin de former et outiller nos militants », indique Olivier Guivarch. Aussi, à tous les étages de l’organisation, de nombreuses initiatives voient le jour : création de réseaux de militants, débats, formations, sollicitation d’experts afin de mieux appréhender les thèses de l’extrême droite. Des échanges s’ébauchent également avec des partenaires européens confrontés aux mêmes difficultés comme avec la Fondation Friedrich-Ebert, en Allemagne.
Des initiatives sont prises aussi par les sections syndicales, comme à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), où l’on a compris l’importance « de renforcer la culture politique et citoyenne », comme l’expliquent Isabelle Champion et Gwenaëlle Grosbois, respectivement secrétaire de la section et adhérente CFDT. Ces militantes ont conçu une série de webinaires, aux titres volontairement provocateurs : « Démocratie, rien à foutre ? » ; « Syndicats, rien à foutre ? » ou « Liberté d’expression, rien à foutre ? ». Leur visionnage est proposé à l’ensemble du personnel sur le créneau de la pause déjeuner, en tant qu’heure d’information syndicale. Ces moments permettent à la fois d’approfondir des concepts ainsi que de favoriser les débats. Il n’est pas question de laisser les discours mensongers de l’extrême droite prospérer sans les combattre.