Augustin Trapenard, l'homme qui aimait les livres

icone Extrait du  magazine n°516

À 46 ans, le journaliste et critique littéraire a déjà un palmarès très fourni : animateur de La Grande Librairie sur France 5 depuis 2022, il a également créé et animé des émissions littéraires cultes telles que Boomerang, sur France Inter. 
Rencontre avec ce généreux passionné.

Par Emmanuelle PiratPublié le 01/10/2025 à 13h15

Augustin Trapenard
Augustin Trapenard© Emmanuelle Marchadour

Vous dites que la lecture vous a sauvé, enfant… De quelle manière ?

J’ai toujours pensé que la littérature, les romans en particulier, permettait de comprendre le monde, les choses de la vie. Sans doute parce que je viens d’une famille nombreuse, où j’avais une place un peu particulière : j’étaisun enfant secret, un peu différent, avec des goûts qui ne correspondaient pas à ceux de ma fratrie. Grâce à la littérature, j’ai éprouvé d’autres espaces, d’autres chemins, d’autres façons d’envisager la vie…

Mais vous dites qu’elle vous a « sauvé », c’est un terme très fort…

C’est une expression que j’utilise volontiers, qui correspond au mal-être que j’éprouvais. Mais il me semble que c’est une expérience assez commune, en fait: l’enfance n’est pas forcément un moment joyeux, heureux, pour tout le monde. La littérature m’a aidé. Je m’y réfugiais sans cesse, de manière obsessionnelle. Dans ma famille, on disait toujours de moi: « Augustin et ses livres. »

Après de brillantes études supérieures, vous commencez votre carrière en tant qu’enseignant en littérature anglaise et américaine. Mais un séjour à Berkeley (Californie) vous a fait changer de voie. Expliquez-nous…

Quand j’ai commencé ma carrière d’enseignant, j’avais véritablement foi dans le système. J’avais profondément envie de faire ce métier, moi qui suis un pur produit de l’Éducation nationale – avec une grand-mère bibliothécaire et une mère enseignante. Mais mon expérience aux États-Unis m’a révélé combien, là-bas, les enseignants y étaient respectés socialement, culturellement, financièrement. On avait une véritable place dans la cité, ce qui n’était pas du tout le cas en France, où l’enseignant est déprécié, payé des clopinettes et même, 
aujourd’hui, menacé de mort… 
En rentrant en France, j’ai décidé de poursuivre mon parcours en journalisme. Cependant, j’ai toujours vécu comme une défaite, voire une trahison, d’avoir fait ces études, d’avoir voulu enseigner et d’avoir été découragé. Je suis certain que l’enseignant a un rôle absolument majeur qu’il est urgent de revaloriser.

On retrouve votre attachement au savoir universitaire dans La Grande Librairie, d’ailleurs…

En effet, j’essaie toujours de faire une place à l’université, au fait que les chercheurs aient voix au chapitre. À l’ère des éditorialistes, de celles et ceux qui savent tout sur tout et ont un avis sur tout, je pense qu’il est important d’aller chercher la parole de gens qui travaillent sur un sujet depuis des années.

Vous avez dit un jour que vous vouliez faire une émission littéraire pendant laquelle on pouvait manger du pop-corn… c’est-à-dire sortir des formats trop sérieux, type Apostrophes… Aussi, pourquoi avoir accepté d’animer La Grande Librairie ?

Quand François Busnel me l’a proposé, je l’ai pris comme une responsabilité : celle de répondre à une mission de service public. Cette émission, certes très classique dans sa forme, avec son plateau d’écrivains, devait continuer d’exister. Dans un paysage médiatique dominé par les chaînes d’info en continu, la parole des experts, des politiques et des spécialistes en tous genres, la parole de l’artiste, en particulier de l’écrivain, est nécessaire. C’est une parole libre, qui prend de la distance, de la hauteur : elle me semble salutaire aujourd’hui! Le faitque l’on puisse, à la télévision, en début de soirée, parler de littérature et de création littéraire, cela n’existe nulle part ailleurs au monde ! Alors, cette Grande Librairie, on peut parler de son format, mais il faut surtout parler de ce qu’elle est et de ce qu’elle représente aujourd’hui: c’est une exception culturelle et une émission subversive, quasi dissidente par rapport à ce que l’on nous propose ailleurs en termes de séquences, de temps de parole, de choix d’invités, de sujets abordés… et j’en suis très fier !

"Si on aseptise tout, on va finir par oublier ce pourquoi les luttes sont nécessaires."

On lit de moins en moins… notamment les 16-24 ans. Comment redonner l’envie de laisser de côté les écrans pour prendre un livre ?

C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai investi les réseaux sociaux, comme Instagram ou TikTok. Si mon métier est de donner envie de lire, de partager la joie de la lecture, il aurait été absurde de ne pas m’adresser à un public qui est sur les réseaux sociaux. J’essaie de partager mes lectures pour possiblement donner envie. Après, ces jeunes sont surtout marqués par des gens de leur âge… Quand je m’adresse à eux, ils me considèrent comme un dinosaure [rires].

Que pensez-vous de la cancel culturedans la littérature ; le fait de titrer Ils étaient dix, au lieu de Dix petits nègres,d’Agatha Christie, par exemple ?

D’abord, je voudrais préciser que je n’emploie pas ce terme « cancel culture », qui vient de l’extrême droite américaine et qui est utilisé par des gens qui précisément n’aiment pas la culture. Ces actions qui sont portées contre le fait artistique émanent de personnes qui ne s’y intéressent absolument pas ou n’en ont qu’une lecture politique, idéologique. Ensuite, la censure de titres, de mots ou d’un travail passé me semble extrêmement problématique. L’excellente Laure Murat (dans Toutes les époques sont dégueulasses, éditions Verdier) explique justement que décider de réécrire un texte, de masquer tout ce qui pourrait heurter le lecteur, c’estextrêmement grave, car c’est invisibiliser ce qui a pu être problématique à une époque. Si on aseptise tout, on va finir par oublier ce pourquoi ces luttes sont nécessaires. Il faut qu’on les garde mais qu’ils soient recontextualisés, encadrés par des préfaces ou des postfaces, par exemple.

Vous vous êtes fait tatouer: « Le ciel et la terre disparaîtront, mais ma parole ne disparaîtra pas »… En quoi cette phrase est importante pour vous ?

Cette phrase est issue de la Bible, extraite de la fin des temps. Elle résonne face à l’urgence qui est la nôtre, fait réfléchirau cataclysme qu’on est en train de vivre, la possibilité d’un effondrement… et ce que dit ce texte, c’est que quelque chose restera; de nous, mais aussi d’une parole. 
Qu’il y a des mots qui restent, qui comptent, gravés en nous. Cela invite à prendre conscience du poids des mots. Cette phrase résonne aussi personnellement car, dans ma famille, tout le monde a eu la maladie d’Alzheimer. Et c’est l’une de mes grandes angoisses : d’oublier ce qui me constitue.

Parcours

1979
Naît à Paris, dans le 15e arrondissement.
2000
Intègre l’École normale supérieure de Lyon (ENS) après une prépa au lycée Lakanal de Sceaux (Hautsde-Seine).
2006-2009
Enseigne la littérature anglaise et américaine à l’ENS de Lyon.
2011
Anime et produit Toute toute première fois, sur France Inter.
2012
Rejoint Le Grand Journal, sur Canal +.
2014
Rejoint la matinale de France Inter avec son émission Boomerang.
2016
Anime 21 centimètres, sur Canal +.
2021
Quitte Canal +.
2022
Anime La Grande Librairie sur France 5.

Bibliothèques sans frontières


Depuis 2018, Augustin Trapenard est parrain de l’ONG Bibliothèque sans frontières, une association qui œuvre pour l’accès de tous à l’éducation, l’information et la culture, auprès des publics vulnérables, dans plus de trente pays dont la France. 
Chaque programme développé par BSF est adapté à différents types de bénéficiaires : dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme, pour des microbibliothèques dans les quartiers… À l’étranger, BSF intervient dans des situations de crise, de guerre, d’urgence climatique. On peut contribuer à son action notamment par des dons de livres.
Retrouvez toutes les infos sur www.bibliosansfrontieres.org