2025, nouvelle année noire du commerce de l’habillement

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icone Extrait de l'hebdo n°3991

Plusieurs enseignes de l’habillement établies en France ont rencontré des difficultés en 2025. La crise que traverse le secteur depuis plusieurs années ne semble pas s’éteindre. La Fédération CFDT des Services s’attend à d’autres défaillances.

Par Fabrice DedieuPublié le 16/12/2025 à 13h00

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© Syndheb

Le vendredi 12 décembre, la justice se penchait sur le sort de l’enseigne IKKS, dernier cas en date d’une longue série de défaillances dans le monde du commerce de l’habillement. Placée en redressement judiciaire en octobre dernier, IKKS a fait l’objet de plusieurs offres de reprise. La justice a retenu celle de Santiago Cucci, l’actuel président de la holding HoldIKKS, et Michaël Benabou, le cofondateur de la plateforme de vente en ligne Veepee. En France, 546 emplois (CDI, CDD et alternants confondus) seront sauvés sur 1 094 avec 119 points de vente. La moitié de l’effectif sera donc concernée par un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Un repreneur qui semble solide, a priori

C’est donc la fin de plusieurs semaines d’incertitudes pour Corinne Boudaud, déléguée syndicale CFDT, qui fait partie des personnes licenciées : « Nous avons un repreneur, c’est déjà ça. Après, est-il viable ? L’avenir le dira. Ce qui peut rassurer, c’est qu’il arrive avec des fonds propres […]. Nous avions une dette élevée, qui a été effacée l’année dernière, puis un PSE comptant une centaine de départs a suivi. De l’argent avait été réinjecté dans l’entreprise. Nous aurions pu espérer que le marché reprendrait, mais non. »

Selon la déléguée syndicale et ses camarades de la CFDT IKKS, ces dernières semaines ont été intenses, les réunions se sont enchaînées : « Nous avons étudié toutes les offres, rencontré les quatre repreneurs les plus sérieux pour leur poser des questions et avons en même temps négocié le PSE ; on a obtenu des choses, comme un budget porté à 2 000 euros par personne en cas de formation au lieu de 1 500 euros et un budget dédié aux différentes mesures augmenté de 1,3 million d’euros. S’il reste de l’argent, il sera redistribué aux salariés licenciés. »

Durant cette phase, l’équipe a pu compter sur l’expertise du cabinet Syndex et la société d’avocats LBBa : « On a beaucoup appris à leur contact. Car des élus seuls ne peuvent rien dans cette situation, ça vous dépasse… » Mais c’est surtout le soutien des salariés qui a été précieux dans cette période : « C’est très important de recevoir des messages de soutien de leur part. Ils ont travaillé jusqu’au bout, car ils aiment leur travail. »

Cocktail de facteurs

Camaïeu, Gap, André… : de nombreuses enseignes de l’habillement et de la chaussure, autrefois très présentes dans les centres-villes et les centres commerciaux, ont tiré leur révérence ces dernières années. « Les difficultés sur ce marché remontent au début des années 2000 », explique Stéphane Frechinos, responsable de la filière services-commerces du cabinet Sextant Expertise, qui décrit un cocktail de facteurs expliquant les transformations à l’œuvre dans le secteur de l’habillement : la vente sur Internet qui torpille les enseignes n’ayant pas pris le virage du numérique, les arbitrages que font les ménages en défaveur des achats de vêtements sur fond de baisse du pouvoir d’achat, l’augmentation des loyers commerciaux ou encore l’arrivée d’acteurs poids lourds en matière de vêtements d’occasion comme Vinted.

Enfin, d’autres enseignes continuent d’arriver sur ce marché de l’habillement, dont la valeur diminue. Entre 2008 et 2024, cette valeur a baissé de 5 milliards d’euros, passant de 31 à 25,9 milliards d’euros. Si « des acteurs résistent bien, même très bien, c’est le cas du luxe mais aussi d’enseignes comme Mango, Zara ou Kiabi et Decathlon, qui font du profit », précise Nicolas Curella, consultant senior économie et finances chez Sextant, ces nouveaux entrants récupèrent donc des parts de marché au détriment d’autres acteurs. C’est ce qui se passe avec Shein, par exemple.

“Les salariés fuient le secteur”

Ce phénomène a encore eu des répercussions durant l’année 2025. Plusieurs enseignes ont dû réduire la voilure après des reprises partielles au tribunal ou ont purement et simplement disparu. C’est le cas de Kaporal (marque française spécialisée dans le jean), qui a été liquidée fin mars, entraînant la destruction de 280 emplois. Dans le cas de l’enseigne Jennyfer, seule une trentaine de magasins ont été repris sur 220, et plus de 700 emplois ont été supprimés. Autre cas emblématique, Naf Naf a connu cette année son troisième redressement judiciaire et son quatrième PSE en cinq ans. Le groupe Beaumanoir n’a repris que 12 magasins et 47 emplois en CDI, sans conserver la marque Naf Naf. Plus de 400 emplois ont été engloutis. Et les 250 offres de reclassement proposées à Beaumanoir n’ont intéressé que neuf salariés de Naf Naf.

« Le secteur du prêt-à-porter emploie majoritairement des femmes, avec beaucoup de mi-temps mal payés et des objectifs inatteignables. Après trois redressements et quatre PSE, les salariés fuient le secteur », analysait Angélique Idali, ancienne déléguée syndicale CFDT de Naf Naf, invitée à témoigner lors de l’événement consacré à l’emploi organisé par la CFDT, le 10 décembre. Et l’incertitude plane sur plusieurs marques : Princesse tam·tam et Comptoir des Cotonniers (propriétés d’Uniqlo) sont actuellement en redressement judiciaire. Encore en sursis, Du Pareil Au Même, Sergent Major et Natalys font pour l’instant l’objet d’un plan de continuation…

De nouvelles défaillances à venir

Du côté de la CFDT Services, on s’attend à de nouvelles défaillances dans les prochaines années. Selon Aurélie Flisar, secrétaire nationale adjointe de cette fédération, « nous sommes dans un moment de crise, et elle va durer. Nous savons que nous allons devoir nous tenir au chevet d’autres enseignes ». D’autant que, bien souvent, les équipes syndicales sont mises devant le fait accompli : « Le problème pour nous, ce sont les données que l’on n’a pas, car les employeurs ne nous associent pas à la stratégie, bien qu’ils le devraient. Nous découvrons des situations dramatiques alors qu’un discours positif était tenu jusqu’au bout. » La Fédération CFDT des Services est donc passée en « mode offensif », précise la secrétaire générale adjointe.

Elle a notamment mis en place des réunions sectorielles où se retrouvent des négociateurs de branche et des délégués syndicaux d’une même convention collective. « Cela permet de donner des éléments d’information à nos militantes et militants, d’avoir des billes et de l’argumentation pour affronter les employeurs qui, eux, disposent d’un important panel de données. Les réunions permettent aussi d’échanger de bonnes pratiques et d’identifier les signaux faibles », détaille Aurélie Flisar. La fédération souhaite également mieux accompagner ses militantes et militants avec la prochaine mise en place d’un accompagnement psychologique, car les périodes de redressement judiciaire ou de liquidation peuvent être lourdes à gérer.

Vers une unification des branches ?

La secrétaire générale adjointe pense qu’il est possible de tendre vers une meilleure rationalité des branches. « Par exemple, dans le commerce de détail de l’habillement, nous avons deux branches avec deux opérateurs de compétences différents (Opco) et des grilles salariales différentes. Mais que font les salariés sinon vendre des vêtements ? Il serait cohérent qu’à métier équivalent, il existe une stratégie identique », souligne Aurélie Flisar.

À propos de l'auteur

Fabrice Dedieu
Journaliste

La fédération n’a pas manqué d’interpeller les pouvoirs publics face au danger que représentent les plateformes chinoises d’ultra fast fashion comme Shein. « Le gouvernement du moment, les employeurs du secteur et nous, à la CFDT, sommes alignés pour agir. C’est suffisamment rare pour être souligné ! », remarque la secrétaire générale adjointe. Mais la fédération sait qu’il faudra agir vite : en dix ans, 48 000 emplois ont été détruits dans le commerce de l’habillement.