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Extrait de l'hebdo n°3991
Lors d’une matinée intitulée “L’emploi en danger, la CFDT mobilisée en proximité”, la CFDT a donné la parole aux délégués syndicaux qui subissent depuis des mois les conséquences du repli du marché du travail.

Cela fait des mois que la CFDT alerte sur la dégradation sérieuse de la situation de l’emploi. « L’accélération des défaillances d’entreprises touche désormais tous les secteurs », rappelait encore Marylise Léon en conclusion d’une matinée d’échanges organisée le 10 décembre à la Confédération. Son service Emploi comptabilisait à cette occasion 738 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) annoncés depuis un an et 87 ruptures conventionnelles collectives (RCC) depuis le début de l’année 2025. Derrière ces chiffres, corroborés par les études officielles – la Dares annonçait, il y a quelques jours, une augmentation de 30 % en un an des plans de sauvegarde de l’emploi –, la CFDT a donc voulu mettre des mots en « donnant la parole aux délégués syndicaux qui mettent leurs tripes dans l’accompagnement de ces restructurations [et qui] ont le courage de témoigner ».

Pour les délégués syndicaux, une pression à tous les niveaux
C’est le cas d’Angélique Idali, déléguée syndicale centrale (DSC) de Naf Naf. Avec trois redressements judiciaires en cinq ans et quatre PSE à son actif, elle raconte la pression qu’elle subit à tous les niveaux. « De la part des salariés, qui attendent des réponses ; de la direction, qui pousse au moins-disant dans les négociations ; des mandataires judiciaires, qui ont leurs objectifs financiers. » Le groupe WhatsApp qu’elle avait mis en place pour communiquer avec quelques 400 salariés du groupe est rapidement devenu « un groupe d’entraide de salariés en détresse, épuisés et qui n’ont qu’une envie après quatre PSE : fuir le prêt-à-porter, percuté par la fast fashion ».
Le secteur de l’ameublement est, lui aussi, victime de la concurrence chinoise : le marché français est en repli de 9 % en 2025, de – 20 % depuis 2019… Chez Gautier, le délégué syndical CFDT Tony Hoarau évoque la « détresse ressentie par les délégués syndicaux en première ligne lorsqu’il faut négocier un PSE dans un délai très court ».
Johann Besle, DSC chez Heidelberg, évoque quant à lui les deux fermetures, très mal vécues par des salariés « très corporate » dont la moyenne d’ancienneté est de vingt-deux ans. « Les salariés ont voulu qu’on sorte le meilleur de la négo, refusant que le CSE s’oppose, mais on a appris que la direction voulait passer par des ruptures conventionnelles individuelles sur d’autres sites afin de contourner d’autres PSE. Pour nous, c'était impensable de laisser des salariés sur le bord de la route, il était essentiel que tout le monde soit couvert », lâche-t-il, un brin amer.
Or c'est bien là qu'entend se placer la CFDT, assurait sa secrétaire générale en conclusion de la matinée. « Notre marque de fabrique, c’est de ne jamais mentir aux salariés en leur promettant que rien ne bougera jamais. Mais nous leur devons une promesse, c’est que personne ne sera laissé au bord de la route, » plaide Marylise Léon à la tribune.
Quel dialogue social pour l’emploi ?
Devant tous ces témoignages, une question se pose : quel dialogue social adopter au moment de la négociation d’un PSE, et avant ? Menée en 2020 à la demande de la CFDT, l’étude Ires « La négociation des PSE, quels arbitrages ? » avance quelques pistes de réflexion sur l’évolution des modes de restructuration et les facteurs tant contextuels que relationnels qui permettent de définir ce qu’est un bon PSE. « Un bon PSE aboutit à une baisse du volume des emplois concernés [comme ce fut le cas chez Lubrizol, il y a quelques mois] et pour lequel les mesures d’accompagnement sont supérieures à la moyenne sectorielle », résumera ainsi Rémi Bourguignon, professeur à l'IAE Paris-Est, venu présenter les résultats de l’étude. Invitée à réagir à la présentation des conclusions de l'étude, Marylise Léon l’affirme : « De la même manière que l’on ne peut pas parler d’emploi de manière globale et homogène, il n’y a pas de réponse unique ou magique à ce que doit être un PSE. En revanche, il y a une question de responsabilité qui doit être posée, à commencer par celle de l’entreprise. »
Transparence et loyauté
Aussi appelle-t-elle à un devoir de transparence et de loyauté dans le dialogue social. « Il faut un dialogue à froid pour permettre de stabiliser les choses, et le fait de mettre les représentants du personnel au pied du mur n’est pas la meilleure façon d’entamer un PSE. On ne peut gérer correctement une crise si on ne l’a pas anticipée. »
Venu débattre avec Marylise Léon, Amir Reza-Tofighi, président de la CPME, préfère renvoyer la responsabilité des secteurs qui disparaissent sur « les mauvais choix politiques faits depuis longtemps […]. Nous en sommes là parce que nous ne sommes pas tous alignés politiquement sur quelques fondamentaux. À chaque fois qu’on impose des normes à des entreprises françaises sans en imposer aux produits qu’on importe, on fragilise le tissu économique français ».

Ces normes, qu’elles soient sociales ou environnementales, ne sont pourtant « pas des boulets au pied de l’économie », estime Marylise Léon, préférant les qualifier de garde-fous. De la même manière, elle rappelle – à l’instar des délégués syndicaux présents lors de cette matinée qui l’ont fait avant elle – la nécessité d’une plus forte conditionnalité sociale et environnementale des aides publiques. « Il est incompréhensible pour les citoyens qu’une entreprise qui touche des millions d’euros d’argent public verse des dividendes record tout en supprimant des postes. » De tels propos ont été éloquemment illustrés par les témoignages de la salle, qui dénonçaient le « cynisme du patronat ». Ainsi, chez Nexity, le comité de rémunération du conseil d’administration du groupe a accordé à Véronique Bédague, la PDG, un bonus de 106 % pour avoir réussi à négocier « un bon PSE ».