Un combat quotidien

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Le syndicalisme face à l’extrême droite

À la mairie de Lille, lutter contre les idées d’extrême droite est une priorité de la section CFDT. Rencontre avec des agents engagés.

Par Emmanuelle PiratPublié le 02/06/2025 à 12h00

La section CFDT de la mairie de Lille, 4 avril 2025.
La section CFDT de la mairie de Lille, 4 avril 2025.© Cyril Entzmann

La scène se passe pendant l’entre-deux-tours des élections législatives, en juin 2024, lors d’une distribution de tracts appelant à faire barrage à l’extrême droite, organisée par la section CFDT de la mairie de Lille. « Tout à coup, on s’est fait interpeller : “Vous n’avez rien d’autre à foutre ? On vous attend sur les revalorisations salariales, mais on n’a pas besoin que vous nous disiez pour qui voter !” Ça m’a choquée », se souvient Halima Matoug, la secrétaire de section, forte de 1 200 adhérents.

Pour autant, l’altercation n’entame en rien sa détermination. Lutter contre l’extrême droite fait partie de son ADN. « Avec ceux qui portent ces idées, c’est non négociable. » Une forme de « ¡No pasarán! » [Ils ne passeront pas !], que la militante défend énergiquement.

Halima a ainsi éconduit un agent qui souhaitait adhérer, avant de s’apercevoir qu’il militait avec Reconquête ! : « Il appelait à voter Éric Zemmour sur les réseaux sociaux. Il pensait prendre une assurance professionnelle en venant à la CFDT. Ça a été non direct ! » Une procédure de radiation a également été engagée à l’encontre d’un adhérent qui postait des croix gammées et relayait les thèses d’extrême droite sur son compte Facebook. « C’est notre responsabilité de ne pas faire entrer le loup dans la bergerie ! » Ou de l’en faire sortir s’il s’y est introduit…

“L’arrivée du RN au pouvoir signifierait la fin du syndicalisme ”

Les occasions ne manquent pas d’avoir à « recadrer ». Car, ici comme ailleurs, « les agents ne se cachent plus pour partager les idées du RN et voter pour ce parti, y compris des cadres. La parole raciste est décomplexée », explique Mathieu Ballone, délégué syndical et responsable du service Jeunesse sur la commune d’Hellemmes.

“Certains refusent que des personnes “de couleur” s’occupent d’eux, ou tiennent des propos comme : “Retourne dans ton pays”… ”

Chloé Héron, aide-soignante à Lille.

Plusieurs agents en ont cruellement fait les frais. Au service de la propreté publique (où travaillent les ripeurs et les cantonniers), à plusieurs reprises, un agent a trouvé des messages insultants sur son casier, en lien avec sa couleur de peau (« Tu resteras un esclave »). Un agent de surveillance de la voie publique, d’origine syrienne, s’est fait taxer de « terroriste » par une collègue.

Dans l’Ehpad où elle travaille comme aide-soignante, à Lille, Chloé Héron peut aussi témoigner d’attitudes ouvertement racistes de la part des résidents à l’encontre du personnel : « Certains refusent que des personnes “de couleur” s’occupent d’eux, ou tiennent des propos comme : “Retourne dans ton pays”… » 

Comment agir face à ces comportements ? D’abord, en restant ferme sur ses valeurs. « En tant que responsable syndical, il ne faut pas laisser passer », indique Redouane Amrani, éducateur sportif et élu CFDT. Rappeler systématiquement les valeurs CFDT est un incontournable pour la section. Il faut aussi savoir engager le dialogue, même si, comme le reconnaît Redouane : « c’est un sujet complexe, parfois délicat à aborder avec ses collègues. Il faut pouvoir argumenter pour déconstruire leurs idées, leurs thèses. Selon eux, partout où il y a un problème, c’est la faute des immigrés. Il faut pouvoir contrer en apportant des chiffres, des faits… ».

Ne pas laisser prospérer les idées nauséabondes, c’est aussi l’objectif des rencontres organisées avec certains services. Comme avec les policiers municipaux. « On a pu leur expliquer comment l’arrivée du RN signifierait la fin du syndicalisme. » Organiser la contradiction, l’échange de points de vue, montrer en quoi le syndicalisme est positif et nécessaire pour les agents… C’est un chantier de longue haleine. « Combattre les idées d’extrême droite, c’est devenu notre quotidien », conclut Halima.