Sur les questions d’égalité femmes-hommes, la société se polarise

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iconeExtrait de l’hebdo n°3951

Dans son rapport annuel, le Haut Conseil à l’égalité remarque une certaine libération de la parole sexiste dans l’espace public. En politique ou à la télévision, la parité est encore loin d’être une réalité.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 04/02/2025 à 13h00

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© HCE

1. La CFDT y est représentée, dans la section égalité professionnelle.

Comment se porte le sexisme en France ? Très bien, à en croire la dernière édition du rapport annuel publié par le Haut Conseil à l’égalité (HCE) entre les femmes et les hommes1 le 22 janvier. L’un des faits majeurs observés durant l’année 2024, selon l’instance consultative, c’est une polarisation beaucoup plus marquée sur le sujet. « Il arrive ainsi qu’un discours sexiste soit considéré comme un simple “avis” », indique le rapport. « Le sexisme deviendrait l’expression de la “vérité de chacun.e”, librement assumée notamment face aux positions féministes parfois considérées comme trop sonores depuis quelques années. »

Sur le plan politique, « il existe une polarisation croissante d’une partie de la jeunesse, avec d’un côté des femmes plus sensibles au féminisme et de l’autre une partie des jeunes hommes plus sensibles à des positions sexistes très dures, aux discours masculinistes et aux mouvements réactionnaires et politisés, voire à des personnalités condamnées pour agression sexuelle comme Donald Trump aux États-Unis ». La liberté de ton masculiniste observée de l’autre côté de l’Atlantique se constate également en France, avec des personnes qui suivent sur les réseaux sociaux des comptes internationaux relayant ces idées. Et le Haut Conseil à l’égalité de s’indigner de « la décharge publique d’une parole outrancière jamais sanctionnée ».

Les effets du procès des viols de Mazan

L’un des événements les plus importants de 2024 a été le procès des viols de Mazan (Vaucluse / Provence-Alpes-Côte d’Azur), au cours duquel plus de 50 hommes ont été accusés d’avoir violé Gisèle Pelicot entre 2011 et 2020. Si cette séquence judiciaire a donné l’occasion d’un débat sur les violences faites aux femmes, le HCE note qu’il a aussi été le lieu de l’expression d’une déresponsabilisation des auteurs et d’une remise en cause du caractère systémique de ces violences. La prise de conscience de la banalité des violences sexuelles dans la société s’avère encore difficile.

Cette conclusion, la CFDT la partage. « Il y a une ambivalence. D’un côté, la question des violences sexuelles faites aux femmes progresse, notamment sous l’effet du procès des viols de Mazan, et l’on peut considérer que c’est positif. Mais, d’un autre côté, les idées masculinistes se répandent, résume Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT notamment chargée des questions d’égalité entre les femmes et les hommes. Ce que ça dit en creux, c’est que, certes, il y a une prise de conscience concernant les violences, mais il y a encore du travail pour lutter contre les clichés et le sexisme ordinaire. Tant que l’on ne s’attaquera pas à ça, avec un programme scolaire d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), par exemple, on ne réglera pas la question. »

Recul de la parité en politique

S’agissant de la parité, le rapport souligne qu’en politique, elle a reculé pendant l’année 2024, avec un nombre d’eurodéputées au Parlement européen et de députées à l’Assemblée nationale en baisse à la suite des différents scrutins. À la télévision, la présence des femmes s’accentue… mais elles ne parlent pas toujours autant que les hommes. En 2023, selon l’Arcom, le taux de parole des femmes sur l’ensemble des émissions de télé était de 34 %.

Enfin, dans la sphère professionnelle, 83 % des femmes et 76 % des Français considèrent que les hommes et les femmes ne sont toujours pas considérés de la même façon. Et c’est bien le cas : le revenu salarial moyen des femmes reste inférieur de 23,5 % à celui des hommes dans le privé ; un phénomène surtout lié à la « ségrégation professionnelle », les femmes occupant des emplois moins rémunérateurs que les hommes.

À propos de l'auteur

Fabrice Dedieu
Journaliste

Afin de corriger cette situation de déséquilibre, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes propose – outre l’instauration d’un programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle – que le congé paternité/parental soit réformé, que des actions soient menées pour une plus grande parité et mixité dans le monde professionnel et que les pouvoirs publics passent d’une obligation de moyens à une obligation de résultat. Des propositions à soutenir alors qu’en 2024 « une certaine régression dans […] le traitement politique des droits des femmes par nos représentant.es » politiques a été constatée, « symptomatique de la crise politique que la France, comme beaucoup d’autres pays, traversent […] ».

La Cour des comptes étrille l’exécutif

La Cour des comptes s’est penchée sur les politiques publiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, et a transmis ses conclusions en publiant un rapport le 27 janvier. Le bilan n’est pas bon : « Les moyens consentis pour financer des actions en faveur de l’égalité ont significativement augmenté mais les effets sont complexes à évaluer. En effet, le périmètre des dépenses est incertain et le pilotage budgétaire dispersé », indique la Cour des comptes. « En matière d’égalité professionnelle, les politiques en faveur de la mixité peinent à porter leurs fruits », ajoute-t-elle.

Les stéréotypes ont la vie dure et pèsent sur les choix des femmes pendant leur scolarité puis dans la vie professionnelle. « L’enjeu de la mixité est l’égalité salariale », affirme la Cour des comptes, et de pointer les travers de l’index de l’égalité professionnelle : « La logique de résultat affichée lors de l’instauration en 2018 de l’index “égalité professionnelle” n’est pas probante : il ne concerne qu’une faible part des salariés, tend à invisibiliser les inégalités réelles entre femmes et hommes et ne s’accompagne pas toujours de pratiques plus vertueuses en matière d’égalité professionnelle. Le système de sanctions et pénalités est insuffisamment appliqué. »

De quoi donner du grain à moudre quand il s’agit de réformer l’index, en lien avec la transposition prochaine dans le droit français de la directive européenne sur la transparence des rémunérations.