RSA : la CFDT et quinze organisations saisissent le Conseil d’État contre le décret “sanctions-remobilisation”

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icone Extrait de l'hebdo n°3984

Seize associations et syndicats s’unissent pour demander l’abrogation du décret du 30 mai 2025 qui autorise la suspension ou la suppression du RSA et des allocations chômage dès le premier “manquement”. Ils dénoncent une politique injuste, inefficace et contraire aux droits fondamentaux.

Par Sabine IzardPublié le 28/10/2025 à 13h00

Au micro, Lydie Nicol, secrétaire nationale de la CFDT.
Au micro, Lydie Nicol, secrétaire nationale de la CFDT.© Syndheb

Alors que la pauvreté explose en France, un front syndical et associatif inédit se dresse contre la politique de sanctions imposée par l’État aux demandeurs d’emploi et aux allocataires du RSA. La CFDT et quinze organisations – dont le Secours catholique - Caritas France, ATD Quart Monde, la CGT, la FSU et La Ligue des droits de l’Homme – ont annoncé le 22 octobre avoir déposé, à la fin juillet, quatre recours devant le Conseil d’État visant à demander l’annulation du décret « sanctions-remobilisation », entré en vigueur le 1er juin 2025. « Quand l’État punit au lieu de soutenir, nous portons plainte », a ainsi justifié le président du Secours catholique, Didier Duriez, lors d’une conférence de presse à Paris. À ses côtés, des représentants syndicaux et associatifs ont décrit les effets concrets d’un texte qu’ils jugent « injuste et inefficace ».

Un barème de sanctions inédit pour les allocataires du RSA

Pris en application de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, le décret instaure un barème de sanctions inédit pour tous les demandeurs d’emploi, y compris les allocataires du RSA, inscrits à France Travail. « Depuis la parution de ce décret, toute personne inscrite à France Travail est menacée de se voir suspendre de 30 % à 100 % de son indemnité chômage ou de son RSA dès le premier manquement (non-respect du contrat d’engagement, oubli d’un rendez-vous…). Une fois notifiées d’une suspension, les personnes ne disposent que de dix jours pour contester cette décision, soit un délai ne permettant pas de se défendre convenablement seules comme accompagnées », explique ainsi le collectif.

La CFDT considère évidemment un tel changement comme un glissement vers une logique punitive. « Alors que le RSA est censé garantir un filet de sécurité pour les plus vulnérables, il devient une prestation conditionnelle, soumise à la suspicion et à la sanction, dénonce Lydie Nicol, secrétaire nationale de la CFDT chargée du dossier. Menacer de couper les vivres à des personnes déjà précaires, c’est les pousser dans l’exclusion, pas vers l’emploi. »

Des principes constitutionnels remis en cause

Selon les seize organisations requérantes, le décret viole plusieurs principes fondamentaux. Dans un communiqué commun, elles pointent notamment une « atteinte au droit à des moyens convenables d’existence » inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, mais aussi le manque de proportionnalité des sanctions et une rupture d’égalité entre les territoires. « Selon l’endroit où l’on vit, on ne subit pas le même barème », explique ainsi Agnès Aoudaï, copésidente du Mouvement des mères isolées. Elle dit avoir récemment accompagné une personne dont le RSA a été suspendu pendant deux mois. « Impossible de savoir pourquoi. On ne sait plus d’où viennent les sanctions. » « Il y a beaucoup d’arbitraire. On vote en local le niveau applicable de sanctions, ce qui accentue les disparités locales », abonde Luc Chevalier, syndiqué à Sud et agent de France Travail. Sans compter que l’intensification des contrôles s’est accompagnée d’un usage croissant de l’intelligence artificielle.

Une variable d’ajustement budgétaire pour les départements

« Tout le monde est perdu, reconnaît Sophie Rigard, chargée de projet au Secours catholique. Les départements sont en train de voter en conseil départemental les délibérations pour choisir leurs variables de sanction. Ce que l’on voit, c’est 80 % de suspension dès le premier niveau de manquement et 100 % dès le deuxième niveau, voire 100 % directement en cas de refus de contrôle. Les départements utilisent cette politique pour éjecter du système des personnes et réaliser des économies. Le RSA devient pour eux une variable d’ajustement budgétaire. » « La “suspension-remobilisation” permet de sanctionner plus fort et plus vite, reconnaît Lydie Nicol. Le décret concrétise l’esprit de la loi plein emploi de 2023 : contrôler et sanctionner plutôt qu’accompagner, exclure plutôt qu’inclure. »

Des agents de France Travail en souffrance

Dans ce contexte, les syndicats alertent sur la situation des agents de France Travail et des travailleurs sociaux, soumis à une pression accrue. « On leur demande de passer du rôle d’accompagnateur à celui de contrôleur. Ils ne se retrouvent pas dans ce qu’on leur demande de faire. Ça crée de la souffrance », explique Vincent Lalouette, représentant de la FSU et agent de France Travail. De plus, « les portefeuilles explosent, les moyens n’ont pas suivi, et la direction met la pression sur le chiffre plutôt que sur la qualité du suivi ».

Ce changement de logique provoque une perte de sens du travail et une souffrance croissante parmi les agents, selon la CFDT. « On a fait de fausses promesses aux gens tout en stigmatisant les plus pauvres de notre pays », insiste Lydie Nicol.

Un bras de fer politique et social

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Journaliste

Le recours déposé devant le Conseil d’État marque une étape supplémentaire dans la contestation de la réforme du RSA et de la loi plein emploi. Face à ce qu’elles considèrent comme une dérive punitive, les organisations syndicales et associatives espèrent désormais que le Conseil d’État suspendra l’application du décret. « On appelle à un sursaut. Notre action est dans ce sens-là. Il est temps de sortir de cette politique catastrophique et de revenir à une politique globale de lutte contre la pauvreté », conclut le collectif.