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À la recherche d’un nouvel équilibre
Depuis la crise sanitaire, le travail à distance met les collectifs à l’épreuve. Certains employeurs rappellent leurs troupes sur site alors que les salariés se sont attachés à ce mode hybride. Comment piloter cette organisation spécifique en maintenant la cohésion des équipes et en conciliant flexibilité et efficacité ?

On ne reviendra pas en arrière. Ceux qui ont demandé à leurs salariés de revenir au bureau, comme les géants de la tech aux États-Unis, avaient opté pour du travail 100 % distanciel. En France, les entreprises qui proposent du full remote sont à peine 3 %. Dès la fin de la crise sanitaire, un consensus s’est dessiné autour d’un à deux jours de télétravail par semaine. En 2025, la majorité des accords ont mis le curseur sur deux jours hebdomadaires, et cette organisation de travail se trouve pleinement intégrée par les directions des ressources humaines.
« Chaque entreprise, en fonction de son ADN et de sa culture, a posé un cadre, un roulement et décidé d’un mode organisationnel. Cinq ans après le Covid, on peut considérer que la mise en place du télétravail n’est plus un problème », estime Alexis Berthel, de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines). Sachant que pour 70 % des entreprises de plus de 250 salariés, ne pas proposer le télétravail constitue un frein pour le recrutement.
Entre contrôle et autonomie
Toutefois, en accordant plus d’autonomie aux salariés, le télétravail a bouleversé le management traditionnel, marqué par le présentéisme. Du moins a-t-il considérablement fait évoluer la pratique. Les managers doivent désormais s’adapter à ce qui est devenu la norme : la présence partielle, intermittente et éparpillée de leurs collaborateurs. Quand le bureau ne rassemble plus physiquement, lorsque le contact humain se fait en partie à travers la machine, il faut réussir à « faire équipe » à distance.
Et les débats sur le travail hybride n’ont pas fini de questionner la productivité, les performances et l’engagement des salariés, comme le soulignait l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) en 2022 : « Le développement du travail hybride a mis les managers en difficulté en brouillant leurs repères et la visibilité dont ils disposent sur l’activité de leur équipe. » L’Apec dénombrait plus des deux tiers des managers qui comptent au moins une personne en télétravail régulier au sein de leur équipe, « une difficulté pour 61 % des cadres managers, et qui augmente avec la taille de l’équipe ».
En réponse aux fortes attentes de flexibilité, « le télétravail a mis au premier plan le partage du sens et la capacité de délégation des managers », déclarait pour sa part l’ANDRH, affirmant dans une enquête : « La transformation de ce rôle sera clé pour le futur du travail et constitue un chantier prioritaire. »
Du métatravail pour les managers
Les managers subissent aussi la surcharge de travail due à la gestion même du télétravail, qui peut s’avérer particulièrement chronophage. De fait, quand les interactions passent essentiellement par les échanges numériques, s’ensuit une forme de « bureaucratisation » du travail qui consiste à caler des rendez-vous, fixer des créneaux dans les agendas pour réussir à se parler et systématiser les remontées d’information. L’INRS dénonce même une perte de sens progressive du métier puisque les fonctions managériales sont remplacées par de la technique (prescrire, rendre compte…). Les managers doivent également gérer les tensions générées par le télétravail lorsqu’il augmente le clivage entre les salariés qui y sont éligibles et les autres. « Dans certaines équipes, des compensations informelles ont été proposées pour les salariés qui ne pouvaient pas télétravailler : priorité lors de la prise de congés, jours réparateurs ou moment à eux, etc. », constate l’Apec.
En vue de corriger cette fracture entre cols bleus et cols blancs, l’accord national interprofessionnel de novembre 2020, « pour une mise en œuvre réussie du télétravail », préconisait de regarder dans le détail les tâches télétravaillables et non les postes, afin que plus de salariés puissent bénéficier du dispositif, au moins certains jours dans l’année.
Les cadres managers sont également confrontés aux risques psychosociaux liés à la pratique du télétravail. Favoriser la motivation, résoudre les conflits à distance et accompagner leurs équipes vers l’autonomie… dans le fond, le problème vient-il de la distance physique ou de techniques de management à revoir ? Le télétravail n’est-il pas l’occasion de réinterroger et moderniser des pratiques managériales qui sont souvent le parent pauvre de la gestion des entreprises ? « Il n’existe pas de formule gagnante, il faut être attentif, ne pas sursolliciter les personnes présentes et avoir le réflexe de manager à distance les autres », affirme Alexis Berthel. Reste que, malgré les problèmes aujourd’hui bien connus et identifiés du management hybride, trop peu d’entreprises proposent des formations sur le sujet.