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À la recherche d’un nouvel équilibre
Jean-Baptiste Barfety est cofondateur du collectif Projet Sens, auteur de l’étude « Travail virtuel, manager réel ».

Vous avez réalisé cette étude auprès d’entreprises où l’on télétravaille de deux à trois jours par semaine. Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Le télétravail concentre beaucoup de paradoxes, entre hyperconnexion et isolement. Celui qui se pratique aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui mis en place au moment de la crise sanitaire. Durant la pandémie, le télétravail s’appuyait sur un patrimoine de relations entre collègues, régulières, établies depuis des mois ou des années de présence ensemble au bureau.
Le télétravail n’était qu’une parenthèse, avec la perspective de se retrouver ensuite. Le fait de se mettre en télétravail, c’était aussi protéger sa santé et celles des autres, c’était contribuer à l’intérêt collectif. Ce n’est plus du tout le cas. Ce patrimoine relationnel s’estompe, on se croise par intermittence.
Finalement, c’est le travail en présentiel qui s’est modifié ?
Oui, il y a eu comme un effet boomerang. Il y a cinq ans, les médias insistaient beaucoup sur les caractéristiques du domicile des télétravailleurs (trop petit, trop bruyant, partagé) ; aujourd’hui, le flex office s’est tellement développé que la semaine séquencée s’est imposée, avec alternance de jours de présence au bureau et de jours chez soi pour pouvoir se concentrer. Et en présentiel, il n’est plus possible d’avoir une réunion sans écran parce que les interlocuteurs sont tous sur le mode hybride.
“La question n’est plus de savoir si l’on est pour ou contre le télétravail mais comment on arrive à travailler mieux et différemment.”
D’après votre étude, les managers vivent plutôt mal ce mode hybride…
Effectivement, certains affirment qu’afin de voir au moins une fois dans la semaine les personnes de leur équipe, lesquelles sont là à tour de rôle, ils ne peuvent pas télétravailler sous peine de se couper de ce type d’échanges indispensables, notamment pour repérer des signes de mal-être au travail. D’autres expriment une forme de monotonie sensorielle du fait d’être toujours à la même place, devant le même écran. Ils parlent de perte de repères où tout se mélange, dans un tunnel de réunions. Cela dit, aucun des managers interrogés n’a remis en cause le télétravail.
La question n’est plus de savoir si l’on est pour ou contre mais comment on arrive à travailler mieux et différemment. Le travail au bureau est issu d’une époque révolue où les temps de trajet n’étaient pas les mêmes, où le travail des femmes à l’extérieur était moins répandu. Avec deux actifs travaillant loin de chez eux, certaines choses de la vie quotidienne sont devenues trop compliquées.
La digitalisation des échanges, c’est aussi une tendance de fond. L’entreprise peut-elle y échapper ?
Non, car l’entreprise n’est pas une entité coupée du reste de la société. Elle doit s’ajuster. Dorénavant, un écran permet d’éviter certaines interactions avec les collègues, ce qui s’avère bien commode lorsqu’elles sont mal vécues. Le risque, si chacun reste dans sa bulle, c’est de se replier dans son quant-à-soi comme ceux qui ne décrochent plus leur téléphone et interagissent uniquement par SMS ou messages vocaux… Il y a comme un côté défensif à cela, comme si la relation à l’autre était ressentie de plus en plus comme une confrontation. Il faut retrouver l’équilibre, au bureau comme ailleurs.