Autonomes, les télétravailleurs ? Pas si sûr…

Retrouvez le dossier complet
À la recherche d’un nouvel équilibre

Certains employeurs ont du mal à vivre cette organisation de travail dans le climat de confiance requis et multiplient les mouchards. Quel contrôle ont-ils le droit d’exercer, et avec quels outils ?

Par Claire NillusPublié le 04/07/2025 à 09h09

image
© Utrecht Robin

«Quand je travaillais dans un centre d’appels, il y avait un bouton à activer quand on voulait s’absenter (pause pipi, café…) : j’avais dix minutes. Mes durées d’appel étaient enregistrées et il y avait un débrief obligatoire à la fin de la journée », raconte Myriam (son prénom a été changé), à propos de son expérience de téléopératrice.

La méthode peut sembler spécifique à ce métier, mais elle s’est généralisée avec le télétravail. Certaines entreprises sont tentées d’utiliser des outils qui leur permettent de contrôler en permanence la présence et l’activité du télétravailleur à son poste. Il leur est facile de vérifier les temps de connexion au serveur de l’entreprise, de mettre en place une badgeuse dématérialisée ou encore d’exiger l’envoi de feuilles de temps quotidiennes.

De fait, au même titre que les salariés présents sur site, les télétravailleurs restent subordonnés à l’employeur. Ce dernier garde le pouvoir d’encadrer et de contrôler l’exécution des tâches qui leur ont été confiées. C’est la contrepartie normale et inhérente au contrat de travail. Tout accord de télétravail doit d’ailleurs obligatoirement déterminer les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié (article L1222-9 du code du travail).

Attention aux pratiques intrusives

Si la surveillance des salariés est possible, l’employeur ne doit pas l’exercer n’importe comment. Dès 2020, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’est saisie du sujet afin d’interdire des pratiques jugées trop intrusives envers les télétravailleurs.

Récemment, elle a ainsi sanctionné une société immobilière d’une amende de 40 000 euros en raison d’une surveillance disproportionnée de l’activité de ses salariés en télétravail par l’utilisation d’un logiciel paramétré qui comptabilisait les périodes d’inactivité supposée et effectuait des captures d’écran régulières de leurs ordinateurs. Les salariés étaient filmés en permanence. Ces pratiques sont interdites, de même que l’utilisation d’un keylogger (logiciel enregistrant les frappes sur le clavier et les clics de souris), d’outils de géolocalisation ou l’enregistrement des appels téléphoniques du télétravailleur (excepté à des fins de formation ou en vue d’améliorer la qualité d’un service et à condition d’en avoir préalablement informé la personne).

De plus, « l’employeur doit toujours justifier que les dispositifs mis en œuvre sont strictement proportionnés à l’objectif poursuivi et ne portent pas une atteinte excessive au respect des droits et libertés des salariés, plus particulièrement le droit au respect de leur vie privée ».

C’est pourquoi, toujours selon la Cnil, l’employeur ne peut pas imposer aux salariés d’activer leur caméra lors d’une visioconférence, excepté s’il justifie de circonstances « très particulières » telles qu’un entretien RH, une rencontre avec des clients extérieurs, la présentation de nouveaux arrivants, etc. Enfin, comme tout traitement de données personnelles, un système de contrôle du temps de travail ou de l’activité, à distance ou sur site, doit respecter les principes du RGPD (règlement général sur la protection des données).

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Toutefois, en dépit de tous ces garde-fous, « l’environnement informatique est propice à la surveillance », estime Marc-Éric Bobillier Chaumon, professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers).

Il étudie l’impact de ces outils de contrôle informatique sur le travail des salariés : « Ce qui était difficilement traçable au bureau l’est maintenant ; et une organisation fera toujours plus confiance aux outils qu’aux hommes. Cela génère une mise en scène permanente du travail de la part du salarié pour se rendre visible : donner son emploi du temps de la journée, écrire des “e-mails parapluies” [ils permettent de se protéger en mettant en copie des destinataires qui ne sont pas directement concernés], expliquer ce qu’il fait pour “faire équipe” et, surtout, se comporter en fonction de ce que l’outil attend de lui… »

Pour ce chercheur, les organisations qui souhaitent resserrer le cadre autour des télétravailleurs devraient plutôt créer de nouveaux espaces pour discuter du travail réel.