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“Nous sommes encore loin de ce qu’il faudrait faire pour que notre système de santé fonctionne ”

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Système de santé : la lente agonie

Henri Bergeron est sociologue, chercheur au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po, spécialiste de la santé publique.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 03/03/2023 à 10h00

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Alors que la crise sanitaire a révélé les limites de notre système de santé, dans quel état se trouve-t-il aujourd’hui ?

Je rappelle que l’état de notre système de santé n’est pas lié à la crise sanitaire. Il y avait des mobilisations bien avant le Covid. Les professionnels alertaient déjà sur sa dégradation et sur leur épuisement. La crise n’a été qu’un révélateur de difficultés plus anciennes. Nous sommes face à un problème structurel. C’était prévisible. Nous avons un système de santé, un hôpital, qui connaît des réformes depuis plus de vingt ans, avec comme ambition structurante, entre autres, la réduction des coûts.

D’ailleurs, ce constat ne se limite pas seulement à la santé. C’est le cas dans beaucoup de services publics. Parlez-en aux enseignants ou aux agents de la justice, à ceux de l’aide sociale, aux éducateurs spécialisés, aux assistants sociaux ; ils pourraient aussi dresser le bilan d’un terrible manque de moyens. Tout cela est en partie le résultat d’une volonté de réduire les dépenses sociales depuis les années 1980.

“On observe un accroissement des inégalités dans l’accès aux soins, dans les territoires notamment, avec l’essor des déserts médicaux.”

Les difficultés rencontrées dans les hôpitaux ne sont que la partie visible de l’iceberg. C’est toute l’offre de soins qui semble mise à mal…

Oui. Que ce soit l’offre de soins hospitalière ou l’offre de soins primaire, la situation est de plus en plus dégradée. On observe un accroissement des inégalités dans l’accès aux soins, dans les territoires notamment, avec l’essor des déserts médicaux. Du côté des urgences, le temps de prise en charge augmente. Cela a des conséquences sur la population et les individus, que ce soit sur les risques épidémiologiques, sur les morbidités ou encore sur la mortalité, avec ce que l’on appelle les pertes de chance. Plus un individu est « empêché » de recourir au système de soins, plus les risques sur sa santé sont importants. Le faible investissement dans la prévention a lui aussi des conséquences sur la santé des populations.

En juillet2020, la CFDT obtenait le Ségur de la santé, avec à la clé des revalorisations pour les personnels et des investissements dans le système de santé. Est-ce suffisant ?

C’était indispensable. Cela n’avait pas été fait depuis trop longtemps. Tout mouvement qui consiste à reconnaître et valoriser les métiers difficiles va dans le bon sens. Mais c’est insuffisant. Au-delà des questions de revalorisation des travailleurs, de la reconnaissance de leurs métiers – et de la pénibilité –, il est nécessaire, comme le soulignent les experts du sujet, de faire plus en termes de moyens et d’investissements. Les économistes de la santé considèrent qu’il y a toujours un fort déséquilibre entre l’offre de soins et la demande.

Aujourd’hui, je ne suis pas capable de dire si on est très loin ou simplement loin de ce qu’il faudrait faire pour que notre système de santé fonctionne. On l’a vu avec le Covid, les soignants se sont serré les coudes, ceux qui étaient en compétition ou en concurrence se sont entraidés. Si la crise a suscité des coopérations très fortes entre professionnels du secteur – ça n’a pas été le cas partout, loin de là –, elle a surtout révélé des difficultés dans l’organisation et la coordination.

Que faudrait-il faire pour y remédier ?

Les questions de coordination et de coopération sont centrales. Néanmoins, leur diversité et les intérêts parfois contraires ne facilitent pas les choses. De nombreuses institutions, des comités ou d’autres créations organisationnelles, qui ont été mis en place pour favoriser ces coopérations, n’ont pas non plus su démontrer leur utilité. Il faut cesser de rajouter de nouvelles strates. Il convient de passer plus de temps, d’utiliser plus d’intelligence et de ressources à penser des mécanismes précis de coopération entre les acteurs et les institutions qui existent.