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Système de santé : la lente agonie
Tous les professionnels de la santé dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail et de la prise en charge des usagers. Les personnels et le système de santé français sont à bout de souffle, mais continuent de tenir. Jusqu’à quand ?

Fermeture des urgences à Senlis (Oise), temps d’attente de dix heures aux urgences de Lille (Nord), absence de médecins dans le service médicalisé d’urgence (Smur)…
Dans les Hauts-de-France, le monde du soin craque de toutes parts. Il manque du personnel pour faire face dans tous les établissements. Ces derniers en viennent à se faire une concurrence malsaine pour appâter les personnels intérimaires, au détriment des conditions de travail des équipes en place. « Les directions sortent la confiture pour attirer les nouveaux et laissent les anciens dans le vinaigre, augmentant les tensions et déstabilisant les services », déplore David Mormand, responsable de la CFDT-Santé-Sociaux des Hauts-de-France.
Les personnels sont à la fois épuisés et en colère, à l’image des salariés de l’aide à domicile, qui appellent à une journée de mobilisation le 23 mars prochain devant les cinq conseils départementaux de la région. « Et ce n’est pas fini. Le pire est pour demain », insiste David Mormand. « L’offre de soins décline alors que l’état de santé général de la population est moins bon que dans le reste de l’Hexagone », abonde Perrine Mohr, secrétaire générale de l’Union régionale interprofessionnelle CFDT des Hauts-de-France.
Cette situation dramatique a conduit la CFDT à publier en 2022 le Livre noir de la santé dans les Hauts-de-France. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le taux de cancers y est supérieur de 18 % à la moyenne nationale, les maladies cardiovasculaires de 21 %, les maladies respiratoires de 38 %, le diabète de 35 %, la maladie d’Alzheimer de 25 %. Des chiffres à mettre en parallèle avec une consommation de tabac supérieure de 20 % à la moyenne nationale et une consommation d’alcool 68 % plus élevée.
« Nous avons dépassé le point de rupture »
Si le constat est particulièrement alarmant dans les Hauts-de-France, la crise n’épargne aucun territoire. Plus d’une centaine d’établissements hospitaliers ont dû limiter leurs activités en 2022 ou en cesser une partie. La Fédération hospitalière de France (FHF) estime de son côté jusqu’à 5,7 % le nombre total de postes vacants dans les hôpitaux et établissements sociaux, dans une enquête parue en juin 2022.
« Malgré une prise de conscience collective, le déploiement du Ségur de la santé et les mesures des accords Laforcade, la situation de notre système de santé n’a jamais été aussi préoccupante, alerte Ève Rescanières, secrétaire générale de la Fédération CFDT Santé-Sociaux. Malheureusement, ce n’est que la confirmation du manque d’attractivité du secteur de la santé. On a dépassé le point de rupture, on ne fait que survivre. Les personnels qui continuent de travailler sont héroïques. »
Il faudra attendre 2030 pour que le nombre de médecins retrouve le niveau de 2020.
47 % des médecins généralistes ont plus de 55 ans
Et la situation va encore se dégrader. Dans les trois quarts des départements, la densité médicale s’érode alors que les besoins de santé liés au vieillissement de la population s’accroissent, insiste un rapport parlementaire1. Plus de 30 % des Français résident aujourd’hui dans un « désert médical », 11 % des Français de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant (+ 1,2 point par rapport à 2017).
Le rapport alerte enfin sur l’accroissement des délais d’attente pour voir un spécialiste, jusqu’à deux cents jours pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste dans certains territoires.Résultat, plus de 3 % des personnes de plus de 16 ans (soit 1,6 million de personnes) déclarent avoir renoncé à des soins médicaux.
« La perspective d’une décennie noire en termes de démographie médicale est une réalité », alertent les auteurs du rapport. Parmi les médecins, 47 % ont 55 ans ou plus, souligne le service statistique du ministère de la Santé dans une note datant de 2018. En 2024, la France comptera 209 000 médecins, soit 5 000 de moins qu’en 2020. Il faudra attendre 2030 pour que le nombre de médecins retrouve le niveau de 2020. Il augmentera ensuite de 18 % à l’horizon 2040 et de 36 % à l’horizon 2050 (292 000).
Le Ségur n’est pas un solde de tout compte
À ces chiffres se sont ajoutés, pendant les vacances de Noël, le Covid et les épidémies de grippe et de bronchiolite, obligeant le président de la République, le 6 janvier dernier, à présenter de nouvelles orientations pour l’hôpital, conscient qu’il fallait apporter une réponse au malaise des professionnels et à la colère des usagers. Il a annoncé le recrutement d’assistants médicaux attachés aux médecins, censés leur faire gagner du temps de soin, et lancé un chantier sur l’organisation du travail dans les hôpitaux. Chaque établissement devra, d’ici au 1er juin 2023, avoir « engagé et finalisé les discussions avec les partenaires sociaux pour adapter les plannings et les organisations du travail ».
Durant son allocution, le Président a même reconnu que le Ségur de la santé n’était qu’« un rattrapage de ce qui n’avait pas été fait auparavant [et non] pas un solde de tout compte ». Un changement de pied qui n’a pas échappé à la CFDT. « L’hôpital ne peut pas attendre, insiste Ève Rescanières. C’est dès à présent qu’il faut agir pour retrouver des marges de manœuvre afin d’améliorer les conditions de travail des personnels comme la prise en charge des usagers. »
Déserts médicaux
Des inégalités insupportables
Dans une étude de mars 20211, le ministère de la Santé affirme que la densité médicale en France s’élève à 318 médecins en moyenne pour 100 000 habitants. Par comparaison, et d’après les données de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), elle est de 453 en Allemagne, 518 en Norvège et 545 en Autriche.
Il existe également de fortes disparités entre les différentes régions françaises. En Nouvelle-Aquitaine, on compte par exemple 161 généralistes pour 100 000 habitants, contre 110 en Centre-Val de Loire. Même constat en ce qui concerne les spécialistes. Alors que la moyenne nationale s’établit à 178 pour 100 000 habitants, ils sont en moyenne 229 en Île-de-France, 131 en Centre-Val de Loire… et seulement 72 en Guyane.
Des inégalités s’observent au sein même des régions ou des bassins de vie. Alors que Paris compte 858 généralistes, la Seine-Saint-Denis voisine n’en compte que 258.