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Système de santé : la lente agonie
Adhérent du syndicat Syncass-CFDT, ce directeur des centres hospitaliers de Saintes et de Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime) fait tout son possible pour maintenir à flot l’offre de soins. Une mission délicate, particulièrement depuis la fin de la crise Covid.

Quels effets dus à la pandémie de Covid avez-vous observés sur l’hôpital ?
Avant la pandémie de Covid-19, il y avait déjà une crise dans les hôpitaux, avec des difficultés aux urgences, en psychiatrie et dans le secteur médico-social. La crise sanitaire, inédite, a généré un moment particulier, avec un sursaut et une mobilisation majeure de l’ensemble des professionnels.
Puis il y a eu une succession de chocs liés aux différentes vagues qui a entraîné une lassitude et a épuisé l’élan initial de la solidarité interne. Durant l’année 2022, notre capacité sanitaire s’est effritée. Nous n’avons pas pu ouvrir de lits supplémentaires pour faire face à la triple épidémie de bronchiolite, de Covid et de grippe. On sent une absence manifeste d’espérance. Les hospitaliers sont fatigués, à tous les niveaux dans la diversité des métiers de l’hôpital – une centaine.
En tant que directeur d’hôpital, de quelle marge de manœuvre disposez-vous ?
Aujourd’hui, tenir les équilibres financiers n’est plus mon objectif principal. C’est plutôt maintenir une offre sanitaire en lien avec les besoins du territoire, alors que tout s’effrite et menace de s’effondrer. Est-ce qu’il y aura des urgences pédiatriques demain ? Aurais-je assez de lits de réanimation pour accueillir des personnes non vaccinées ? C’est très stressant car il y a une instabilité du système de soins ; la gestion de crise devient permanente. La sécurité de la population est en jeu. Cela demande de réorganiser l’hôpital chaque semaine, de recruter des équipes, de sortir de l’argent pour des remplacements courts, de cesser des activités pour en prioriser d’autres. Et honnêtement, pour l’instant, je ne vois pas le bout du tunnel.
Le gouvernement entend revoir le financement des hôpitaux, et notamment la très décriée tarification à l’activité (T2A). Qu’en pensez-vous ?
La T2A n’est pas le facteur unique de la situation. Il y a aussi l’Ondam 1. Depuis quinze ou vingt ans, l’Ondam ne finance pas l’augmentation naturelle des coûts. D’où une difficulté : comment atteindre l’effort de productivité requis ? Mettre un coup de rabot sur tous les centres hospitaliers ou réorganiser le tissu sanitaire ? Des questions qui n’ont jamais été posées clairement lors des campagnes présidentielles. On a mis en place, avec la T2A, un système mathématique de marché des séjours qui crée les structures gagnantes ou perdantes en fonction de leurs atouts relatifs, au lieu de faire des choix politiques posant clairement les enjeux de l’accès aux soins ou de la régulation du système de santé. On se retrouve aussi avec des distorsions économiques et des activités difficiles à équilibrer comme la maternité, et des secteurs à rente comme la radiothérapie.
L’exécutif entend lutter contre les dérives de l’emploi de médecins et d’infirmiers intérimaires. Est-ce une bonne chose, face aux défis de l’attractivité ?
Surpayer les médecins avec l’intérim ne nous apporte pas du temps médical en plus au niveau de la nation, car les intérimaires touchent en quelques jours ce qu’ils toucheraient en un mois de travail sur un temps plein à l’hôpital. Et, avec ce système, on décourage totalement les médecins permanents, qui sont encore aujourd’hui le cœur battant de la mission de service public.
Pour lutter contre l’intérim, comme le ministre le propose, il faut au préalable, à court terme, se préparer et se coordonner entre établissements sur un même territoire, sous l’égide des ARS [agences régionales de santé], afin d’organiser la solidarité interétablissements et de limiter pour la population l’impact d’éventuelles fermetures ; à moyen terme, il faut se pencher de nouveau sur les moyens permettant à l’hôpital de redevenir attractif dans ses statuts et emplois stables.