“L’Europe nous donne la capacité d’agir dans les entreprises”

iconeExtrait du magazine n°504

Marylise Léon alerte sur les dangers que fait peser la montée du populisme sur les citoyens et sur le monde du travail. L’Union européenne est à un tournant majeur et doit s’unir pour relever de nouveaux défis sociaux et écologiques, affirme la secrétaire générale de la CFDT. Entretien.

Par Anne-Sophie Balle et Guillaume Lefèvre— Publié le 31/05/2024 à 09h00

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT.
Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT.© Joseph Melin

Comment la CFDT se positionne-t-elle dans cette campagne et, plus particulièrement, dans ces élections ?

En tant qu’organisation proeuropéenne, la CFDT ne peut pas se contenter d’être spectatrice ou de commenter, elle doit être actrice.

C’est la raison pour laquelle la CFDT est très investie dans la campagne que mène la Confédération européenne des syndicats, et qu’elle relaye largement son manifeste pour l’Europe sociale que nous voulons. À l’échelle nationale aussi, la CFDT porte sa vision d’une Europe sociale utile aux travailleurs et appelle chacune et chacun à se rendre aux urnes.

Cela veut dire appeler à voter pour une liste candidate ?

Non, notre rôle n’est pas de dire pour qui il faut voter. En revanche, on affiche clairement notre opposition aux idées d’extrême droite et aux candidats qui les portent. Le 23 mai dernier, nous avons auditionné les candidats républicains et examiné leur programme au prisme syndical. Cela nous a permis, je crois, de mieux connaître leur vision de l’emploi, du travail et de se faire sa propre opinion. Là s’arrête le rapport au politique de la CFDT.

Si tu avais un message à faire passer aux adhérents, quel serait-il ?

Allez voter, c’est primordial ! On le sait, l’abstention est un risque majeur… Elle bénéficie toujours à l’extrême droite.

“Lorsque l’extrême droite accède au pouvoir, sa première ambition est de mettre en place un régime sans contre-pouvoir.”

Cela t’inquiète-t-il ?

Oui, clairement, car l’extrême droite n’apporte rien aux travailleurs, au contraire. Lorsqu’elle accède au pouvoir, sa première ambition est de mettre en place un régime autoritaire, sans contre-pouvoir. C’est exactement ce qui est en train de se passer en Finlande (lire le reportage réalisé à Pori auprès des militants du syndicat STTK).

Une autre des caractéristiques des partis d’extrême droite, c’est de fonder leur vision, leur doctrine sur la création d’inégalités de droits entre les citoyens. Il y aurait les bons et les mauvais. Il faudrait enlever des droits à ceux qui n’auraient pas les bons papiers. C’est ce qui se passe en Allemagne, avec le projet de « remigration » de l’AfD, qui entend renvoyer plus de 2 millions d’Allemands d’origine étrangère.

Pourtant ce discours séduit. Le populisme a le vent en poupe un peu partout en Europe… Que répondre à ceux qui désignent « Bruxelles » comme responsable de tous les maux ?

Il ne faut pas laisser la place aux eurosceptiques et à tous ceux qui considèrent que l’UE n’est qu’un problème. Et en offrant à l’extrême droite une majorité au Parlement européen, on risque de détricoter tout ce que l’UE a fait avancer : devoir de vigilance, salaire minimum, travailleurs des plateformes, transparence salariale, égalité femmes-hommes… Sur tous ces sujets, l’extrême droite s’est abstenue ou a voté contre lors de la dernière mandature. Or pour nous, syndicalistes, c’est bien l’Europe qui nous permet d’avancer et nous donne la capacité d’agir dans les entreprises.

“Nous sommes dans une Europe solidaire naissante qui nous a permis d’avoir des vaccins, lors de la crise de Covid, ou de mener des actions communes en solidarité avec l’Ukraine. Nous devons aller plus loin encore.”

Justement, parmi les dernières avancées, l’UE a adopté le 23 avril la directive sur le devoir de vigilance, saluée comme un vrai progrès social par la CFDT. Dans le même temps, elle a annoncé le retour des règles d’austérité… Comment expliques-tu ces contradictions ?

C’est symptomatique d’une Europe qui s’est d’abord construite autour de l’économie et du vieux dogme des 3 % de déficit. Elle continue à regarder les questions économiques avec ses vieilles lunettes, mais face aux défis du numérique et de la transition écologique, l’Europe doit changer de prisme et se demander comment investir dans la transition écologique. Cela donnerait à voir une Europe vivante, capable de s’adapter, une Europe du progrès et une Europe qui protège en somme.

Je crois que nous sommes dans une Europe solidaire naissante qui nous a permis d’avoir des vaccins, lors de la crise de Covid, ou de mener des actions communes en solidarité avec l’Ukraine. Nous devons aller plus loin encore.

Comment ?

Je vois deux choses. Il nous faut un nouveau modèle de gouvernance économique qui sorte de cette vision étriquée de l’équilibre budgétaire au seul prisme de la réduction de la dette. Il faut aussi repenser la fiscalité européenne via un meilleur partage des efforts. Il est grand temps que ceux qui en ont les moyens contribuent davantage au financement de la transition écologique. C’est pour cela que nous soutenons l’initiative citoyenne européenne « Tax the Rich », qui donne à chaque citoyen et citoyenne le pouvoir de participer activement à la vie parlementaire européenne.

Nous l’affirmons également avec nos partenaires du Pacte du pouvoir de vivre : l’Europe doit se doter des moyens de ses ambitions en développant ses ressources propres.

Quel est ton souhait social pour l’Europe dans la prochaine mandature ?

Nous avons besoin de constituer un socle commun de protection sociale. C’est complexe car nos modèles sont très différents et difficilement comparables, mais nous avons vu avec le salaire minimum que cela était possible.

Nous voulons aussi mettre en place un compte personnel de formation européen, qui permette aux salariés de mener à bien leurs projets professionnels et de faciliter leur mobilité au sein de l’espace européen s’ils le désirent.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Nous devons aussi continuer de travailler sur l’assurance chômage. La crise de Covid nous a poussés à mettre en place le dispositif de chômage partiel SURE, qui a bien fonctionné. Transformons-le en une assurance transition emploi européenne pour faciliter les reconversions. C’est crucial au regard des mutations écologiques et numériques qui sont à l’œuvre.