Les travailleurs étrangers dans le viseur du gouvernement

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iconeExtrait de l’hebdo n°3951

Dans une circulaire du 23 janvier, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, restreint drastiquement l’accès à l’admission exceptionnelle au séjour (AES) pour les étrangers sans titre de séjour.

Par Sabine Izard— Publié le 04/02/2025 à 13h00

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© Maddie McGarvey/RÉA

Le ton se durcit pour les travailleurs étrangers. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a adressé fin janvier aux préfets de département une nouvelle circulaire visant à remplacer la circulaire Valls du 28 novembre 2012. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est lacunaire : trois pages (contre une douzaine précédemment) organisent désormais les conditions d’examen des demandes d’admission exceptionnelle au séjour en France déposées par des ressortissants étrangers sans titre de séjour. Des droits réduits à peau de chagrin, dénonce fermement la CFDT : « On doit cesser d’empiler les lois. Le mouvement migratoire en France est très limité et contenu, contrairement à ce que laisse entendre le ministre de l’Intérieur et les politiciens d’extrême droite. La CFDT s’oppose donc sans réserve à cette circulaire qui porte en elle un message politique d’exclusion et de stigmatisation des étrangers quand il faudrait, à l’inverse, tout mettre en œuvre pour faciliter leur intégration », explique Lydie Nicol, secrétaire nationale CFDT.

Que contient la circulaire Retailleau ?

La circulaire Retailleau précise que l’admission exceptionnelle au séjour (AES) – la modalité administrative de régularisation des étrangers présents en France sans titre de séjour – est une voie de recours dérogatoire qui doit s’inscrire dans le cadre strict de la loi. Il est ainsi demandé aux préfectures de ne plus recourir à l’AES « sauf circonstances exceptionnelles », sans pour autant définir ces circonstances.

En matière de régularisation par le travail, le ministre de l’Intérieur demande expressément aux préfets de n’utiliser que la procédure applicable aux zones et métiers caractérisés par des difficultés de recrutement, introduite par la loi du 26 janvier 2024 et précisée à l’article L435-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Elle ferme donc, dans les faits, toute autre voie de régularisation par le travail.

Le demandeur doit donc désormais justifier d’une résidence ininterrompue sur le territoire depuis au moins trois ans, d’un emploi en cours ainsi que d’une activité salariée d’au moins douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois dans un métier en tension et une région connaissant des difficultés de recrutement afin de pouvoir demander une carte de séjour temporaire valable une année portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié ».

Cette voie d’admission, limitée à certaines zones géographiques et secteurs professionnels, est donc nettement plus restrictive que ce que prévoyait dans ce domaine la circulaire Valls. Le texte insiste également sur le niveau d’intégration de la personne qui sollicite l’admission. Elle doit notamment justifier d’une certaine maîtrise de la langue française via l’obtention d’un diplôme ou d’une certification linguistique, de son insertion sociale et familiale, de son respect de l’ordre public, de son intégration dans la société française et de son adhésion, par contrat, aux modes de vie, valeurs et principes de la République… ce qui laisse une large place à l’arbitraire.

Pire, en cas de rejet de sa demande, le demandeur étranger peut désormais se voir adresser une obligation de quitter le territoire français (OQTF) valable trois ans, interdisant toute nouvelle demande de titre de séjour. « C’est un changement total de philosophie par rapport à la circulaire Valls puisque les organisations syndicales et les associations avaient obtenu que les dossiers déposés ne puissent pas faire l’objet d’une OQTF en cas de refus, explique Christophe Dague, secrétaire confédéral. Il y a ainsi une forme de cynisme à proposer aux étrangers de déposer un dossier en risquant en retour une OQTF, qui les condamnerait à vivre dans l’illégalité pendant au moins trois ans. Pour la CFDT comme pour les autres organisations syndicales et associations, il est assez probable que nous ne puissions plus déposer de dossiers au regard des risques en cas de refus. Nous pourrons continuer à accompagner le montage de dossiers mais il appartiendra au demandeur étranger de décider de ce qu’il doit faire. »

La CFDT souhaite une remise à plat des politiques migratoires

À propos de l'auteur

Sabine Izard
Journaliste

« Tout est fait pour rendre la vie impossible aux demandeurs, pour qu’ils s’en aillent. L’avenir que l’on promet à ces travailleurs et travailleuses – qui créent de la richesse, rendent des services, favorisent le lien social et cotisent en France – n’est pas digne : vivre dans la crainte, se cacher, rencontrer des difficultés à se loger, se soigner, des conditions de travail difficiles sans pouvoir faire respecter ses droits, des bas salaires… Non seulement ces politiques sont indignes, mais elles portent préjudice à l’ensemble des travailleurs et travailleuses. La CFDT les combat, appuie Lydie Nicol. Depuis plusieurs années, il semble que ce soient les obsessions xénophobes de l’extrême droite qui dictent la politique de l’immigration en France. La CFDT demande donc une refonte complète des politiques migratoires afin de pouvoir enfin accueillir dignement et intégrer durablement ces personnes. »

Dans le cadre de « La Prépa », cette semaine, deux webinaires sont programmés au sujet des questions migratoires, dont un spécifiquement sur la régularisation des étrangers sans titre de séjour :
• le mardi 4 février 2025 (de 14 à 15 heures) : “Immigration, de quoi parle-t-on ?” ;
• le vendredi 7 février 2025 (de 14 à 15 heures) : “Les travailleurs sans papiers”.