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Extrait de l’hebdo n°3848
La liquidation de Camaïeu, prononcée il y a un mois, remet un coup de projecteur sur un secteur qui accumule les difficultés depuis plusieurs années. D’autres enseignes pourraient mettre la clé sous la porte dans les prochains mois.

Après Camaïeu, à qui le tour ? Il y a un peu plus d’un mois, la justice prononçait la liquidation de l’entreprise Camaïeu, le plan de continuation de l’actionnaire ayant été jugé peu convaincant. Un choc pour ses 2 126 salariés (effectifs au 1er octobre), tous licenciés, mais aussi pour de nombreux clients attachés à cette enseigne française basée à Roubaix (Nord) qui allait bientôt fêter ses 40 ans.
L’évènement est venu rappeler combien le commerce de détail de l’habillement, notamment de milieu de gamme, est fébrile. Et ce, depuis plusieurs années. « Il y a beaucoup d’acteurs, la concurrence est exacerbée », affirme Mélanie Monton, consultante chez Syndex, cabinet d’experts qui accompagne les représentants du personnel. De fait, les ventes en France baissent d’année en année, au moins depuis 2010.
De nouvelles défaillances d’entreprises à prévoir
Les conséquences de la pandémie de Covid-19 ont aggravé ces difficultés, avec des magasins fermés et des consommateurs sommés de rester chez eux. « Certaines enseignes ont saisi l’occasion pour passer au commerce en ligne et ainsi limiter les pertes. Mais ce n’est pas le cas de toutes. Certaines n’ont pas encore pris le virage de l’e-commerce. » Par ailleurs, de nouvelles habitudes apparaissent : « Même si c’est un peu contradictoire, les consommateurs ont des attentes en matière environnementale. Et ils achètent de plus en plus d’occasion. »
Face à toutes ces difficultés structurelles et conjoncturelles, « il y a fort à parier qu’il y aura de nouvelles défaillances », estime Mélanie Monton, liées notamment à des défauts de trésorerie (loyers impayés, prêts garantis par l’État à rembourser…). « Le commerce de l’habillement est un secteur qui a bien fonctionné pendant longtemps, a été convoité par les fonds d’investissement. Ces derniers ont eu des exigences de rentabilité élevée. Maintenant, les enseignes sont revendues, avec un “dégraissage” systématique. »
Un défaut de stratégie
C’est ce qui se profile pour Pimkie. La famille Mulliez a mis en vente l’enseigne, qui compte environ 1 300 salariés. Un consortium de trois repreneurs a été retenu : le fabricant de jeans Lee Cooper (qui serait majoritaire avec 70 %), le fabricant de chaussettes Kindy et le fabricant turc Ibişler Tekstil. Contactée juste après un CSE lors duquel elle a rencontré deux des trois investisseurs, Marie-Annick Merceur, déléguée syndicale CFDT, ne cache pas son inquiétude : « Toutes nos questions n’ont pas encore obtenu de réponses. On ne sait pas où l’on va, si ces personnes sont sérieuses. »
“Ça fait un an que les salariés sont dans l’attente, ils craquent.”
Une chose est sûre : une restructuration doit intervenir au début de l’année 2023, après le rachat. Et, pour l’instant, impossible de savoir quelle sera l’étendue des dégâts. « Ça fait un an que les salariés sont dans l’attente, ils craquent. On nous en demande toujours plus, les salariés sont fatigués et on ne sait pas ce qui va nous tomber dessus. » Pimkie a déjà connu un PSE il y a quatre ans : plus de 200 postes ont été supprimés, une trentaine de magasins fermés. Or l’entreprise continue de perdre de l’argent. « La crise Covid nous a beaucoup pénalisés, et a rajouté des difficultés. On a changé de cible juste avant la pandémie, pour se concentrer sur les 18-25 ans, sauf que les collections n’étaient pas adaptées. Le tir a été rectifié mais il faut retrouver la clientèle, maintenant. »
L’inquiétude est de mise chez Gap
Pimkie n’est pas la seule enseigne dans la tourmente. Burton of London (108 magasins) a été placé en procédure de sauvegarde début octobre, San Marina (680 salariés, 163 magasins) est en redressement judiciaire depuis la fin juillet. L’inquiétude est vive également du côté du groupe Financière immobilière bordelaise (FIB). En effet, l’ancien propriétaire de Camaïeu a repris les magasins Gap en France. « Lors de la reprise, en septembre 2021, on s’est rendu compte qu’ils n’étaient pas préparés, qu’ils n’avaient pas de stratégie… comme ce fut le cas avec Camaïeu », explique Hélène Chauvin, secrétaire fédérale de la CFDT-Services, qui suit des élus du groupe FIB. « Ils ont émis le souhait de faire de la vente à distance par Internet, en proposant des produits non vendus en magasin. Avec quelle stratégie ? Pour eux, il s’agit de relancer l’enseigne. Nous, on voyait plutôt une tentative qui aurait fait baisser la fréquentation des magasins… » Elle ajoute : « On craint que ça se termine comme Camaïeu. Un droit d’alerte a été mis en place pour toutes les entités du groupe FIB. On a missionné des experts car on a peu d’infos de la part du CSE. »
Dans ce contexte plus qu’incertain, la CFDT reste aux côtés des équipes. « Au niveau du groupe, je fais des coordinations régulières avec les élus, explique Hélène Chauvin. Il faut qu’ils sachent ce qui se passe chez leurs voisins pour avoir une action cohérente. Ça permet de montrer à la direction qu’elle ne peut pas faire ce qu’elle veut. »
Camaïeu : 25 millions d’euros de ventes pour financer le PSE
Entre la prononciation de la liquidation judiciaire et la fermeture définitive de l’entreprise, au 1er octobre, les 2 126 salariés disposaient de trois jours pour liquider les stocks et faire un maximum de chiffre d’affaires. Ainsi, 25 millions d’euros sont entrés dans les caisses de l’entreprise, in extremis.
Cette somme a permis de financer plusieurs mesures du PSE. Les salariés ont chacun pu avoir une prime dite de partage de la valeur de 6 000 euros ainsi que 3 450 euros (4 450 euros pour les seniors et les travailleurs handicapés) servant à financer les mesures d’accompagnement (formation, aide à la reprise ou à la création d’une entreprise…). Le PSE a été validé par la Dreets le 18 octobre dernier. Quant à la vente du stock, le 2 novembre, les quatre millions d’euros récoltés serviront à éponger l’immense dette de l’entreprise, 250 millions d’euros au total.
De son côté, la CFDT s’est mobilisée. Alors qu’un quart de l’effectif de l’entreprise se trouve dans les Hauts-de-France, des rencontres ont été organisées avec le préfet de la région ainsi que le président du conseil régional pour tenter d’accompagner au mieux les salariés. La CFDT agit afin qu’un guichet unique soit mis en place à Pôle emploi, ce qui permettrait de centraliser et simplifier les démarches. « Désormais, nous sommes dans l’attente ; un repreneur peut se présenter pour reprendre les murs du siège social et l’entrepôt, ce qui pourrait recréer des emplois », affirme Avisen Mahadoo, permanent de la Fédération des Services dans les Hauts-de-France.