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Extrait de l'hebdo n°3974
En pleine crise des finances publiques, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises met en lumière le manque d’évaluation d’un des principaux budgets de l’État. Les sénateurs, qui ont dû eux-mêmes chiffrer le montant des aides accordées, préconisent une modification législative et appellent à un choc de responsabilisation des entreprises.

À l’automne dernier, l’annonce coup sur coup de la fermeture de deux sites emblématiques de Michelin et d’un plan social massif chez Auchan avait poussé l’ancien Premier ministre Michel Barnier à demander à « toutes les entreprises ayant reçu de l’argent public, notamment pour les crises du Covid et de l’énergie, de nous dire ce qu’elles en [avaient] fait ». Créée en janvier 2025, la commission sénatoriale chargée d’enquêter sur l’utilité des aides publiques aux entreprises aura auditionné 33 dirigeants d’entreprises – parmi lesquelles TotalEnergies, LVMH, Michelin, Sanofi, STMicroelectronics –, une dizaine de représentants des services de l’État mais aussi des économistes, des organisations syndicales et le ministre de l’Économie lui-même, Éric Lombard. Dans le contexte de crise des finances publiques que subit le pays, le coût global des aides versées et leur utilité se devaient d’être, enfin, questionnés.
211 milliards d’euros versés en 2023
Après cinq mois de travaux, le rapport publié le 8 juillet dernier met en lumière la complexité du système autant que le manque d’évaluation des 211 milliards d’euros versés pour la seule année 2023. Pour parvenir à cette somme, il a fallu batailler : le Trésor, pas plus que Bercy, n’étant en mesure de fournir un recensement de toutes les aides de l’État aux entreprises. Les sénateurs ont donc dû procéder eux-mêmes au chiffrage, avec l’aide d’économistes, pour arriver à ces 211 milliards, un montant qui comprend les subventions de l’État, les aides versées par Bpifrance, les allègements de cotisations sociales ou encore les dépenses fiscales1.
« Un pognon de dingue », seraient tentés d’ironiser certains, sans que l’on sache comment celui-ci a été utilisé ou évalué. « Quelques années après la gabegie qu’a constitué le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), l’actualité sociale fait ressurgir dans le débat public la problématique de la conditionnalité des aides publiques ainsi que celle d’un contrôle plus strict et d’une évaluation plus poussée de ces aides », peut-on lire dans le préambule du rapport transpartisan, adopté à l’unanimité et largement salué par la CFDT.
Vingt-six préconisations et quelques chocs à opérer
In fine, « le paysage des aides publiques aux entreprises semble aujourd’hui éclaté et échapper à toute réflexion d’ensemble », constate le rapporteur Fabien Gay (Parti communiste), qui préconise, au nom de la commission d’enquête, 26 propositions permettant un « choc de transparence », de « simplification » (pas moins de 2 250 dispositifs ont été recensés), d’« évaluation » et de « responsabilisation » en matière de conditionnalité des aides…
La première de ces préconisations prêterait presque à sourire tant elle paraît évidente : la création d’un « tableau détaillé et actualisé » chaque année des aides versées aux entreprises, une tâche qui pourrait être confié à l’Insee. De la même manière, la publication annuelle par le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan d’un rapport sur le suivi et l’évaluation des aides versées aux entreprises, accessible aux parlementaires et aux partenaires sociaux, semble frappée du coin du bon sens. Enfin, un renforcement de l’information et de la transparence est demandé au sein des entreprises, avec un accès aux données relatives aux aides publiques pour les CSE.
Fixer des conditions d’octroi… et de remboursement
Selon la CFDT, « l’impératif de transparence et d’objectivation de l’utilisation des fonds publics constitue un enjeu démocratique majeur. Il l’est d’autant plus que le rapport, exemples à l’appui, pointe les soutiens reçus par des entreprises qui, dans le même temps, ont opéré des restructurations importantes et procédé à des licenciements tout en versant des dividendes à leurs actionnaires », assure Luc Mathieu, secrétaire national.
Dans un contexte de multiplication des plans sociaux et de départs volontaires, le rapport estime en effet les contreparties en matière d’emplois « trop peu contraignantes » ; sans parler de la « place marginale et peu opérante » de la conditionnalité des aides. Aussi, les sénateurs préconisent-ils trois pistes : interdire l’octroi d’aides et imposer leur remboursement dans le cas où les entreprises seraient condamnées pour infraction grave ; demander le remboursement des aides de l’État ou de la collectivité aux entreprises procédant à une délocalisation de l’activité dans les deux années suivant l’attribution ; exclure les aides publiques du périmètre du résultat dit distribuable – c’est-à-dire sur lequel est assis le calcul du dividende. « Ces pistes confirment en grande partie les revendications de la CFDT sur les aides aux entreprises, en particulier leur remboursement en cas de versement de dividendes ou de suppression d’emplois », se félicite le secrétaire national.
Auditionné à la mi-mai, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, affirmait devant la commission d’enquête: « Le gouvernement estime que les crédits d’impôt sont efficaces et utiles. Sinon, nous saisirions ces 150 milliards d’euros pour régler le problème du déficit budgétaire ». On ignore encore si les propositions issues de ce rapport feront l’objet d’une proposition de loi ou seront poussées sous forme d’amendements dans le projet de loi de finances. Mais, alors qu’a lieu en ce moment « la présentation d’un budget qui prévoit 40 milliards d’euros d’économies, il est impensable que ces réflexions ne soient pas sérieusement étudiées », conclut Luc Mathieu.