“L’agriculture a besoin d’un cap clair et de politiques cohérentes”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3905

Ce 30 janvier, le Premier ministre devrait de nouveau évoquer la colère du monde agricole lors de son discours de politique générale. A quelques heures de possibles nouvelles annonces, Syndicalisme Hebdo a rencontré le secrétaire général de la Fédération de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Alexandre Dubois. Il décrypte les enjeux et les attentes du secteur. 

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 30/01/2024 à 13h00

Alexandre Dubois est le secrétaire général de la CFDT-Agri-Agro.
Alexandre Dubois est le secrétaire général de la CFDT-Agri-Agro.© CFDT-Agri-Agro

Un mouvement de colère secoue actuellement le monde agricole. Comment en est-on arrivé là ?

Le contexte géopolitique en Europe et dans le monde, les dérèglements climatiques et environnementaux questionnent nos modèles économiques, sociaux et productifs. Le monde agricole n’échappe pas à ce contexte et à la nécessité de s’adapter pour garantir une agriculture durable et attractive, que nous appelons de nos vœux depuis longtemps, tant pour les agriculteurs que pour les salariés agricoles. Un projet de loi d’orientation et d’avenir agricole se fait attendre. Depuis le début de l’année 2023, les concertations avec l’ensemble des parties prenantes (la profession agricole, la société civile et les pouvoirs publics) auxquelles nous avons participé ont permis de pointer les enjeux et les besoins. L’agriculture a besoin d’un cap clair s’inscrivant dans la durée. Mais la réponse est tardive.

Comment se positionne la CFDT-Agri-Agro face à ces revendications ?

Il faut entendre les difficultés du monde agricole, tout en sachant qu’elles sont très diverses. À la CFDT, notre démarche « Du social dans mon assiette ! », appelle à davantage prendre en compte l’humain, le travailleur, exploitant agricole et salarié agricole (ce qui représente un million de contrats). Face à la détresse de certains agriculteurs ou éleveurs, il est urgent de travailler à mieux répartir la valeur tout au long de la chaîne de production en créant des filières plus équitables : cela nécessite de renforcer et faire appliquer la loi EGalim de 2021 [issue des États généraux de l’alimentation] pour les négociations commerciales et la fixation de prix justes.

Pourtant, les agriculteurs bénéficient d’aides massives, tant de la part de l’État français que de l’Europe…

1. Politique agricole commune.

2. Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

En effet. La France est le premier bénéficiaire des aides de la PAC1 en Europe avec 9 milliards d’euros par an ; le budget du Masa2 est de 8 milliards d’euros avec 17 % de plus en 2024. Mais il y a un vrai sujet de partage de la valeur au sein de la filière alimentaire. Nous invitons les acteurs, agriculteurs, l’industrie agroalimentaire, les distributeurs et les parties prenantes à construire les réponses collectives aux enjeux alimentaires, sociaux, économiques et environnementaux.

C’est-à-dire ?

La loi EGalim prévoyait 50 % de produits durables et locaux dont 20 % de produits bio en restauration collective publique au 1er janvier 2022. Deux ans plus tard, ce n’est toujours pas le cas. L’État doit, dès à présent et avec tous les maillons de la filière, faire en sorte que cet objectif soit atteint. Cela garantirait un marché aux filières dans lesquelles les producteurs maîtrisent mieux la répartition de la valeur. Un chiffre : en 2022, le bio représentait 7 % des approvisionnements en restauration collective, soit un marché de 400 millions d’euros. Si on passait à 20 %, cela représenterait un marché de près de 1,4 milliard d’euros. Depuis le début de cette année 2024, la restauration collective des entreprises est, elle aussi, concernée par ces objectifs. C’est un premier levier pour soutenir la création de filières à l’échelle des territoires. L’aspect territorial est fondamental pour recréer un modèle plus vertueux économiquement, socialement et environnementalement, tant pour les professions que pour les citoyens.

La colère contre l’Europe n’est-elle pas aberrante et dangereuse pour les agriculteurs ?

L’Europe est un échelon essentiel de notre agriculture, et le repli sur soi serait en effet dramatique pour nos agriculteurs. Moins de normes environnementales et sociales ne sont pas une solution pour la pérennité de l’agriculture. La PAC devrait prendre une dimension alimentaire européenne : harmoniser les cahiers des charges environnementaux et sociaux de la fourche à la fourchette, instaurer une traçabilité européenne des produits, se donner les moyens du contrôle. Des clauses miroirs extra-européennes sont légitimes afin d’élever les standards tout en préservant la santé planétaire.

Quel est aujourd’hui le message que veut délivrer la CFDT-Agri-Agro ?

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

Nous sommes à l’heure des choix. Le réchauffement climatique n’est pas une crise, il ne peut plus être traité en fonction de chaque échéance électorale. Une politique globale permettrait d’accompagner l’adaptation du modèle alimentaire aux enjeux globaux et de sortir des schémas de réponses court-termistes. Dans cette optique, il est nécessaire d’engager un débat éclairé, du dialogue, notamment social, une cohérence des politiques publiques et une constance dans l’application des décisions, qui sont selon la CFDT-Agri-Agro les clés de la réussite.