“La fonction publique est face à un mur de déficit d’attractivité”

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icone Extrait de l'hebdo n°3985

Rémunérations en berne, inégalités persistantes entre les femmes et les hommes, conditions de travail dégradées, baisse des effectifs, pyramide des âges vieillissante… : les maux de la fonction publique s’aggravent. Face aux menaces qui pèsent sur les 5,7 millions d’agents et leurs missions, Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, tire le signal d’alarme.

Par Guillaume LefèvrePublié le 04/11/2025 à 13h00

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© CFDT Fonctions publiques

Réduction de la dette publique, austérité… : les discussions autour du budget 2026 s’annoncent tendues, et les boucs émissaires sont tout trouvés. Une fois encore, les agents publics sont perçus comme un coût.

Malheureusement, oui. Nous le disons depuis des années, mais nous le répéterons autant de fois que cela sera nécessaire : cessons de raisonner par le seul prisme budgétaire, raisonnons en termes de service rendu et d’utilité publique. Le service public, ce sont d’abord des femmes et des hommes engagés au service de l’intérêt général et des usagers. Comme certains oublient souvent cette évidence, il est toujours de bon ton de le rappeler. Si la fonction publique doit bien évidemment évoluer, cela ne peut se faire qu’avec une véritable réflexion sur le sens, les missions et les services publics que nous voulons pour demain. Cela ne pourra pas se faire sans une réelle reconnaissance des agents, à la hauteur de leur engagement.

Il semble pourtant que le compte n’y soit pas du tout. Le rapport annuel relatif à l’état de la fonction publique, publié le 23 octobre, révèle une nouvelle baisse des rémunérations…

Hélas, c’était prévisible. On constate une baisse du pouvoir d’achat dans les trois versants de la fonction publique [hospitalière, territoriale et État] de 0,7 % en moyenne, après une baisse de 1,4 % l’année précédente. Nous savons déjà que la situation va s’aggraver puisque le rapport s’appuie sur les données de l’année 2023, qui n’a pas été une année blanche, contrairement à 2024 et 2025.

Que propose la CFDT Fonctions publiques ?

Nous continuons de revendiquer que le travail soit mieux rémunéré. Nous demandons des mesures générales immédiates et le dégel du point d’indice en 2026. Il faut aussi revoir les grilles indiciaires et redonner de la dynamique aux carrières. C’est une question de reconnaissance et d’ascenseur social. Le « détassement » des grilles et un relèvement des niveaux de recrutement, notamment dans les catégories B et C, pour les décoller du Smic, doit aussi être une priorité. On ne peut pas attirer des jeunes diplômés en leur proposant des salaires à peine au-dessus du salaire minimum. Si rien n’est fait, la situation continuera de se dégrader. Aujourd’hui, plus de 60 000 postes sont vacants dans les trois fonctions publiques, ce n’est pas un hasard. Et vu la pyramide des âges, il y a urgence à agir. Nous sommes face à ce que j’appelle un mur de déficit d’attractivité.

Plus précisément, de quoi s’agit-il ?

Les postes vacants que j’évoquais sont l’arbre qui cache la forêt. Si les effectifs de la fonction publique ne sont pas renouvelés, on va droit dans le mur. Plus d’un tiers des agents publics ont plus de 50 ans. Cela signife que, dans les dix années qui viennent, même sans augmentation des effectifs, près de deux millions de recrutements devront être effectués. Comment donner envie à deux millions de jeunes de rejoindre la fonction publique quand il n’y a pas ou peu de perspectives d’évolution ?

J’en profite d’ailleurs pour dire que l’amendement du gouvernement visant au report à 2028 (contre 2026 initialement) de la mise en place de la protection sociale complémentaire dans la fonction publique hospitalière, s’il venait à être adopté, en plus d’être profondément injuste, serait un nouveau coup dur porté à l’attractivité des métiers de nos hôpitaux et de nos établissements publics de santé. Les agents, les patients et leurs familles font les frais de cette situation.

Tout cela n’est donc pas sans conséquences pour les usagers...

Bien sûr. La qualité du service rendu se dégrade ; parfois, le service n’est tout simplement plus assuré. Les agents publics sont admirables. Ils font ce qu’ils peuvent mais on leur demande toujours plus avec toujours moins. La Défenseure des droits alertait d’ailleurs récemment sur les difficultés croissantes d’accès aux services publics et disait que de plus en plus d’usagers découragés renonçaient à leurs droits faute d’interlocuteurs. Voilà une véritable alerte démocratique !

Comment inverser la tendance ?

Par le dialogue social. La fonction publique de demain doit se faire avec et pour les usagers et les agents. C’est la seule voie possible. Nous avons rencontré le nouveau ministre délégué chargé de la Fonction publique et de la Réforme de l’État [David Amiel] pour rappeler nos priorités et reparler des chantiers qui nous attendent. Ils sont nombreux : protection sociale complémentaire, qualité de vie au travail, transition écologique et numérique, égalité professionnelle, etc. Sur tous ces sujets, la CFDT est prête à négocier. Et nous savons que des améliorations très concrètes sont possibles : chaque fois que les organisations syndicales, légitimes représentantes des agents, et les employeurs publics ont négocié et signé des accords, les agents ont obtenu des avancées réelles.

Justement, concernant l’égalité professionnelle, un accord de méthode, préalable à l’ouverture de négociation, est soumis à la signature des organisations syndicales. C’est un pas dans la bonne direction ?

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

Oui, mais encore faut-il avancer. Les employeurs publics devront prendre leur responsabilité. L’ambition de la CFDT est d’arriver à l’égalité réelle. Certes, les accords précédents ont permis des améliorations, mais il faut aller plus loin. Là encore, les chiffres sont parlants. Rappelons que les femmes, qui représentent 64 % des agents, ne comptent que pour 49 % des agents parmi les 10 % les mieux rémunérés et seulement 39 % parmi le 1 % le mieux payé. Par ailleurs, à temps de travail équivalent, le salaire net des femmes est inférieur de 9,9 % à celui des hommes. Le rapport rappelle qu’une femme sur quatre travaille à temps partiel (25 %) contre un homme sur onze (9 %). Enfin, tous âges confondus, les femmes déclarent plus fréquemment des maladies chroniques que les hommes (29 % contre 24 %). Chez les moins de 30 ans, 17 % des femmes indiquent souffrir d’une maladie ou d’un problème de santé chronique ou durable, contre 10 % des hommes. Du fait de leur condition de travail (de nuit, entre autres), elles sont plus exposées aux risques psychosociaux et aux maladies chroniques. C’est pourquoi nous avons fait en sorte que ces questions soient abordées durant les négociations à venir.