“La démocratie est le pain du peuple turc”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3879

Il y a un mois, Recep Tayyip Erdoğan était réélu président de la République de Turquie pour la troisième fois. Une mauvaise nouvelle pour les travailleurs et la démocratie. Dans Syndicalisme Hebdo, Kıvanç Eliaçık, directeur des relations internationales du syndicat Disk, revient sur cette élection et ses conséquences.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 22/06/2023 à 12h00 et mis à jour le 23/06/2023 à 14h20

Kıvanç Eliaçık, directeur des relations internationales du syndicat Disk.
Kıvanç Eliaçık, directeur des relations internationales du syndicat Disk.© DR

Comment la Disk analyse-t-elle le résultat de cette élection ?

D’abord, il faut le dire et le redire : près de la moitié des Turcs (47,82 % des votants), notamment dans les villes, où est concentrée une majorité de la classe ouvrière, ont dit non à Erdoğan. Ils ont dit non à celui qui restreint les libertés, à celui qui bafoue les droits des citoyens et des travailleurs. Ce vote traduit une exigence de changement ; malheureusement, le résultat du vote n’a pas permis ce changement démocratique. Mais il faut aussi rappeler que, durant la campagne électorale, le gouvernement a utilisé tous les moyens à sa disposition, ceux de l’État et des services publics, pour faire sa propagande et censurer l’opposition.

La Turquie est-elle confrontée à un risque démocratique ?

Nous avons lutté pour protéger ce qui reste de la démocratie en Turquie, et nous continuerons de le faire. La démocratie ne consiste pas seulement à aller voter tous les cinq ans. La démocratie, c’est cette capacité de tous les acteurs sociaux, en particulier la classe ouvrière, les femmes et les jeunes, à participer et à avoir leur mot à dire dans tous les domaines, dans le travail ou sur le quotidien. La démocratie est le pain des travailleurs, et Erdoğan est une menace pour la démocratie. Cette position n’est pas liée à un homme en particulier, mais à ce que nous attendons d’un gouvernement : qu’il ne soit pas préjudiciable aux travailleurs, qu’il n’entrave pas leurs droits, mais qu’il promeuve une justice libre et indépendante.

Quel est l’état du dialogue social en Turquie ?

Il n’est évidemment pas possible de parler de dialogue social. Les mécanismes de dialogue social tels qu’ils sont définis dans le cadre constitutionnel et légal n’ont pas été utilisés depuis plusieurs années. Les décisions concernant le monde du travail se font sans les acteurs, à l’image du Conseil social et économique et du Conseil consultatif – où les travailleurs et les employeurs sont représentés. Sur les sujets les plus critiques comme les retraites, la sous-traitance, nous sommes mis devant le fait accompli, du jour au lendemain. Et on peut malheureusement penser que cette tendance va se poursuivre.

Dans ces conditions, comment le mouvement syndical peut-il continuer de porter la voix des travailleurs ?

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

C’est de plus en plus compliqué. La législation actuelle est faite pour empêcher les travailleurs d’adhérer à un syndicat, et les syndicalistes d’exercer leurs droits. Là aussi, la tendance devrait s’accentuer. Il va être de plus en plus difficile de mener des combats syndicaux : la Turquie est l’un des dix pays au monde où les droits des travailleurs sont le moins respectés, comme le montrait l’indice des droits mondiaux de la Confédération syndicale internationale (CSI). Aujourd’hui, plus de 14 millions de travailleurs, soit 90 % des travailleurs déclarés, n’ont pas de protection syndicale. Et 92 % ne peuvent pas utiliser leurs droits syndicaux, en particulier le droit de négociation collective. Une aubaine pour une partie de la classe politique, qui voit dans cette société un grand réservoir de main-d’œuvre bon marché afin d’attirer les entreprises, or il n’y a pas de démocratie sans classe ouvrière organisée. C’est pourquoi nous continuerons sans relâche de lutter pour le travail, le pain et la démocratie.