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Extrait de l'hebdo n°3966
Avec l’initiative “Places du travail”, la CFDT veut faire dialoguer les travailleurs avec des spécialistes du travail, de l’environnement et du numérique. Une mise en réseau destinée à mieux appréhender les transformations du travail et apporter des solutions pour le rendre plus soutenable.

« Le monde du travail est traversé par des mutations d’une ampleur et d’une rapidité inédites », déclarait Marylise Léon lors du lancement du réseau « Places du travail », le 15 mai. « Transformations énergétiques, numériques, démographiques, évolution du rapport au travail : ces changements bouleversent profondément nos métiers, nos compétences et nos vies professionnelles, [mais] les lieux pour penser ensemble ces enjeux demeurent trop rares. » Dans de nombreuses études, dont le baromètre CFDT publié le 1er mai sur l’état du travail en 2025, les travailleurs disent leur impuissance face à ces transformations qu’ils subissent : « 57 % considèrent que les changements ne sont pas bien accompagnés dans leur entreprise ou leur administration, a précisé la secrétaire générale. Or, le travail et la qualité du travail sont des enjeux majeurs pour réussir les transformations à l’œuvre. »
Un laboratoire d’idées sur les transformations du travail
Face aux trois défis majeurs que représentent la transition écologique, le déploiement de l’intelligence artificielle et le changement démographique, la CFDT a donc décidé de créer le projet « Places du travail », « un nom qui n’est pas anodin puisqu’il évoque des espaces publics où l’on se rencontre pour échanger, débattre, construire ensemble », a poursuivi Marylise Léon. Partant du constat que ceux qui réfléchissent sur le travail, ceux qui le font et ceux qui l’organisent « ne se parlent pas suffisamment », ce collectif est ouvert à des chercheurs de divers horizons, des personnalités de la société civile, des spécialistes du numérique, de l’environnement, de l’entreprise. « L’idée, c’est de faire de “Places du travail” un laboratoire d’idées et d’expérimentations pour mener à bien ces transformations », réaffirme Isabelle Mercier, secrétaire nationale en charge du travail.
Des experts qui s’engagent
Au service de cette ambition, la CFDT a déjà fédéré un premier groupe composé de chercheurs, de DRH et d’associations qui partagent la même envie de dialoguer ensemble « au-delà des appartenances institutionnelles et des frontières disciplinaires ». Blanche Segrestin, enseignante-chercheuse à Mines Paris Tech et spécialiste de la gouvernance des entreprises et des entreprises à mission, a ainsi salué une initiative qui s’intéresse à ce « cercle de double détermination » dans lequel les grandes transformations du travail ne peuvent pas se faire sans que l’on regarde aussi de près les activités qui les soutiennent.
S’agissant de l’intelligence artificielle, Frédéric Bardeau, cofondateur de simplon.co , entreprise sociale qui forme les plus précaires aux métiers du numérique, pointe quant à lui « ces idées qui circulent et qui sont parfois délétères. Il n’y a pas de prédétermination et le chômage technologique n’est pas une fatalité. Selon lui, il n’y a rien de nouveau dans l’intelligence artificielle. Le problème est de savoir comment on la déploie et on la régule ». « Nous avons besoin d’un cap partagé, qui soit visible », abonde Antoine Durand, responsable Transition écologique et emplois de Réseau Action Climat.
Quid de la sphère publique ? « Toutes les politiques de modernisation et de simplification de la fonction publique menées à la va-vite désorganisent plus qu’elles organisent. Il n’y a jamais de temps pour les penser autrement. Nous sommes dans une impasse », analyse Émilie Agnoux, haut fonctionnaire ayant exercé dans plusieurs administrations et en cabinet ministériel et cofondatrice du think tank Le sens du service public, créé en 2021. Elle a décidé de répondre à l’appel de la CFDT afin de « réorienter les débats sur le rôle des entreprises et les besoins des travailleurs ». De même, Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po au Centre d’études européennes et de politique comparée, s’est dit « choqué par le fait que l’on parle si peu du travail dans le débat public », la question ayant été évincée pendant des décennies par celles de l’emploi et du chômage. « Nous avons un mal fou à politiser la question et à en faire un thème majeur de campagne électorale. »
Des ateliers thématiques au moins quatre fois par an
Remettre la qualité du travail et la qualité de vie au travail au centre du débat public, ce sont des recommandations déjà préconisées à la suite des Assises du travail qui s’était tenues en 2023, à la demande de la CFDT. Depuis, et après la publication du rapport intitulé « Reconsidérer le travail », ces préconisations n’ont pas été suivies des faits, notamment parce que le débat sur la réforme des retraites a largement occupé les agendas. « Places du travail » vise à relancer la mobilisation collective sur le sujet. « Nous irons sur place, dans les lieux de travail, au moins quatre fois par an, avec un comité “Places du travail”, pour mener des expérimentations et les mettre en lumière », explique Sophie Thiéry, cogarante des Assises du travail et coresponsable de l’initiative « Places du travail ».
« Nous avons trois objectifs, résume Isabelle Mercier. « Partir du travail réel pour aborder ces transformations, animer le débat public, produire des recommandations concrètes à destination des organisations patronales et des pouvoirs publics. » Et surtout, « ne plus passer sous silence ces questions » tandis que la courbe du chômage remonte…
Un enjeu démocratique
Parmi les nombreux thèmes de réflexion identifiés, le réseau lance trois premiers ateliers : les enjeux de la décarbonation de l’industrie automobile, la place du dialogue professionnel dans le secteur de la santé et la notion de « travail bien fait » en lien avec le management. « La CFDT est convaincue que les enjeux du travail sont indissociables des enjeux démocratiques, concluait Marylise Léon, persuadée que, partout où les travailleurs se sentent dépossédés de leur avenir, le vote pour les extrêmes augmente. « Cette approche pluridisciplinaire va aussi nous permettre de réinterroger nos pratiques syndicales et notre capacité à apporter des réponses concrètes aux attentes des travailleurs qui vivent ces mutations. » C'est ce que les travailleurs attendent de la CFDT.