La CFDT fait condamner Technip pour non-paiement des heures sup’

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icone Extrait de l'hebdo n°3979

Alertée par la section CFDT, l’inspection du travail vient de prononcer une amende de plus de 450 000 euros à l’encontre de la société Technip Energies France pour manquement au décompte du temps de travail. Au terme d’une enquête entamée en 2018, il apparaît que 758 salariés sont concernés par la non-reconnaissance de leurs heures supplémentaires, lesquelles se comptent en milliers !

Par Claire NillusPublié le 23/09/2025 à 12h00

Christophe Héraud est le délégué syndical central CFDT de Technip Energies.
Christophe Héraud est le délégué syndical central CFDT de Technip Energies.© Syndheb - DR

« Après des années d’impunité et de fausses excuses, la sanction est tombée », se félicite la CFDT de Technip Energies France, syndicat majoritaire. « Depuis 2016, nous n’avons pas cessé de rappeler à la direction qu’elle doit respecter le droit français : contrôler le temps de travail et payer les heures supplémentaires ! »

Le 4 août dernier, la Drieets1 a sifflé la fin du poker menteur entre la direction de l’entreprise – qui prétendait s’être mise en conformité avec la loi – et l’inspection du travail, qui a constaté que rien n’était fait. Cette dernière a finalement statué sur une amende d’un montant de 454 800 euros, soit 600 euros pour chacun des 758 salariés soumis à un temps de travail hebdomadaire égal à 37 h 30 et dont le décompte horaire a été scrupuleusement épluché par les services de l’inspection du travail.

Technip mauvais payeur depuis longtemps

« Ce contingent de salariés est constitué aux trois quarts d’ingénieurs de moins de 35 ans, les moins bien payés chez Technip. En voulant économiser sur leur dos, l’entreprise écope d’une amende nettement plus importante que ce qu’elle aurait déboursé si elle avait payé le travail réalisé. En outre, la somme qui correspond au paiement de ce temps de travail est largement inférieure aux primes et autres bonus versés au top management », explique Christophe Héraud, le délégué syndical central CFDT.

Mais c’est un fait, connu depuis toujours : à quelques exceptions près, Technip ne paie pas les heures supplémentaires. « Quelle que soit la durée légale du travail, les salariés qui ne sont pas cadres au forfait jours n’arrivent pas à déclarer leurs dépassements horaires ou renoncent à le faire tant c’est source de tensions avec leur manager », poursuit le militant, qui alerte depuis 2016 sur la charge de travail et le déni que lui oppose la direction. À la demande de la CFDT, plusieurs contrôles relatifs au décompte du temps de travail se sont succédé depuis cette date : l’inspection du travail est intervenue en 2018, en 2019 puis en 2021. À chaque fois, elle a jugé que le système de décompte pratiqué se révèle inopérant puisque le temps de présence sur site excède largement le temps de travail déclaré.

Pour arriver à cette conclusion, l’inspecteur du travail a réclamé à la direction de Technip les temps de travail déclarés dans l’outil de paie et les temps de présence dans le bâtiment déduits des heures de passage aux portillons. La comparaison est sans appel. Sur 700 journées dépassant huit heures et demie de présence sur le site (soit sept heures et demie de travail plus une heure de pause déjeuner), « seuls 43 dépassements sont enregistrés comme tels ».

La direction s’engage… mais ne fait rien

En 2021, la direction a enfin accepté d’ouvrir une négociation au sujet du temps de travail. Dans l’accord signé en 2022, elle s’engage à mieux contrôler la durée de travail… mais, en 2023, ce n’est toujours pas le cas. Une énième visite de l’inspection du travail confirme, une fois encore, l’insuffisance du dispositif. Concrètement, les salariés doivent d’abord saisir les heures effectuées dans un logiciel puis faire une demande à leur chef de service en leur faisant signer une feuille à part, puis une autre demande à leur responsable des ressources humaines, lequel pourra alors déclencher le paiement.

« C’est totalement dissuasif parce que cela oblige le salarié à justifier le temps consacré à telle ou telle mission, au risque d’être mal vu par un chef de service qu’il ne voit que rarement puisqu’il est détaché sur un projet, explique Christophe Héraud. Même si le temps d’une mission d’un ingénieur est toujours estimé en amont, il y a forcément une part d’imprévu dont les chefs de service ne veulent pas tenir compte. Finalement, la seule règle qui a été mise en place par la direction en 2024 est la suivante : lorsqu’un salarié est présent sur le site plus de neuf heures par jour en moyenne pendant trois mois consécutifs, son manager est censé l’appeler pour lui demander ce qui se passe… La question de régulariser les heures n’est même pas au programme. »

Des arguments irrecevables

Dans son courrier envoyé à la direction, au début de 2024, l’inspecteur du travail s’agace : les arguments avancés par l’employeur visant à expliquer ce différentiel ne sont pas recevables. Car ce dernier prétend que les dépassements sont dus au temps passé à la conciergerie, à la salle de sport ou à la chorale ! Ça ne tient pas debout, réplique l’inspecteur du travail : « Après un nouveau contrôle effectué dans vos locaux sur ces “activités récréatives”, j’ai pu constater que l’utilisation de ces services par les salariés sur leur lieu de travail ne peut affecter que de manière marginale leur présence à leur poste de travail, et donc leur temps de travail effectif. » Si l’amende est légitimée par l’évidente mauvaise foi de la direction et lui rappelle son obligation de contrôler le temps de travail, elle sanctionne aussi le fait que ces heures non comptabilisées constituent autant de cotisations patronales non versées à l’État.

L’organisation du travail en question

Selon Christophe Héraud, cette décision signifie également deux choses : « D’abord, elle montre que même sans pointeuse horaire, le contrôle du temps de travail est possible. Ensuite, elle souligne que l’autodéclaration ne suffit pas puisque c’est la porte ouverte à toutes les interprétations possibles ; d’ailleurs, un salarié vient d’être licencié après avoir réclamé des heures non payées. Le conflit est allé loin puisque l’entreprise a préféré le licencier pour un motif fallacieux… qui sera naturellement contesté avec le soutien de la CFDT. »

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

La CFDT de Technip demande donc que l’on fasse confiance aux salariés et, le cas échéant, que les managers évaluent le travail nécessaire et contrôlent le travail effectué. « Toute heure de dépassement doit être payée. Ne pas déclarer ces heures revient à les invisibiliser », insiste le délégué syndical. Mais, selon le militant CFDT, le problème est plus vaste : pourquoi est-il devenu inévitable d’accumuler tant d’heures supplémentaires ? « Il faut réinterroger l’organisation du travail, les outils et les moyens. C’est ce que nous pointons. » En attendant, l’histoire n’est pas terminée puisque la direction a fait savoir qu’elle allait contester cette décision administrative…