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La CFDT de la Socopa œuvre à la régularisation des travailleurs sans papiers

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icone Extrait de l'hebdo n°3975

À Cherré, les abattoirs de la Socopa ont toujours embauché des travailleurs étrangers. Parmi eux, certains n’ont pas de papiers. La direction a choisi de s’appuyer sur le dialogue social et la section CFDT pour accompagner ces travailleurs dans un parcours sécurisé et officiel.

Par Anne-Sophie BallePublié le 22/07/2025 à 12h00

De gauche à droite : Marcel Moreau, Noëlle Maréchal, Élisabeth Jousseaume et Arnaud Réguerre.
De gauche à droite : Marcel Moreau, Noëlle Maréchal, Élisabeth Jousseaume et Arnaud Réguerre.© Syndheb

« On n’imagine pas qu’un abattoir de La Ferté-Bernard [Sarthe / Pays de la Loire] puisse être un laboratoire si riche des réalités de travail et de la prise en compte des sujets sociétaux. On aimerait que d’autres sections s’en inspirent », lâche fièrement Arnaud Réguerre, secrétaire général de la CFDT de la Sarthe. À ses côtés, Noëlle Maréchal fait le point avec Bafodé et Mohamed, deux salariés de la Socopa qu’elle a accompagnés en 2023 et 2024 dans leur parcours de régularisation. « Les deux premiers d’une longue série », sourit cette élue CSE1. Dans ses papiers, posés devant elle, douze dossiers s’empilent. « Tous ont été menés à terme et ont conduit à l’obtention d’un titre de séjour officiel, à l’exception d’un pour qui une OQTF2 a été prononcée. »

Habituée, grâce à son mandat d’élue, à monter des dossiers MDPH3 pour les salariés de la Socopa, elle n’imaginait pas que le syndicalisme l’amènerait à faire cela. Mais ne lui parlez pas de supplément d’âme. « Cela fait aujourd’hui partie intégrante de ma mission d’élue, estime-t-elle. On apprend beaucoup, syndicalement et humainement parlant, devant ces réalités et parcours de vie. Je ne dirai pas que c’est facile, il ne faut pas craindre de soulever le tapis. Et une fois la procédure lancée, il faut aller au charbon… et surtout ne pas laisser tomber en cours de route ! »

Un secteur en forte tension

À Cherré, quelque 1 500 salariés de la Socopa abattent, désossent, découpent et transforment environ 23 000 tonnes de viande par an. Un travail très physique et technique qui fait des abattoirs un secteur en forte tension, obligeant depuis toujours la direction à recourir à une main-d’œuvre étrangère. Bafodé D., d’abord embauché à Châteaubriant (Loire-Atlantique) avec son récépissé de demandeur d’asile, est arrivé à la Socopa en CDD muni d’un faux titre de séjour.

Assigné à la première transformation, il s’occupe de vider les carcasses de leurs tripes avant le passage du contrôle sanitaire. « À mon poste, il n’y a pas de droit à l’erreur sinon la carcasse est à jeter. Aujourd’hui, on a fait 245 bêtes et zéro faute », affiche-t-il fièrement. Mais en février 2023, lorsque l’entreprise décide de le faire passer en CDI, les clignotants s’allument. Les RH demandent à Bafodé de fournir des documents qu’il ne possède pas.

La mise en place un parcours sécurisé

Parce que l’entreprise jouit d’un bon dialogue social et d’une relation de confiance avec les élus, la direction se tourne alors vers la section CFDT. L’entreprise s’engage à garder et à embaucher ses salariés dès qu’ils seront régularisés, et s’en remet à la CFDT afin de mettre en place un « parcours sécurisé » de régularisation. La section accepte, y voyant une nouvelle manière de défendre les salariés. Et elle ne va pas compter ses heures… Pour Bafodé, Mohamed et les autres, elle va collecter tous les documents qu’ils doivent fournir (bulletins de salaire, avis d’imposition, promesse d’embauche, etc.) et les accompagner à la préfecture afin de les rassurer. Mais aussi solliciter les politiques de la circonscription, parfois, lorsque le dossier n’avance pas.

« Sans Noëlle à mes côtés, je n’y serais sans doute pas allé », assure Mohamed K. Embauché à la Socopa comme salarié polyvalent, ce trentenaire originaire de Guinée Conakry a travaillé pendant dix-huit mois à la découpe avant que la direction décide de le passer en CDI et découvre le pot aux roses. « Ils m’ont dit : “On ne peut pas t’embaucher parce que tu n’as pas de papiers. Mais on ne peut pas te laisser partir non plus. Va voir Noëlle !” Je suis allé voir Noëlle, et, depuis ce jour-là, elle ne m’a pas lâché. » La section CFDT, de son côté, a noué des relations avec la Cimade4 et travaille avec elle main dans la main pour « œuvrer au mieux à la régularisation de ces travailleurs qui ne demandent qu’à travailler », résument Élisabeth Jousseaume et Marcel Moreau, tous deux militants de la Cimade. Mais l’attente est rude et incertaine pour les travailleurs concernés.

La crainte d'une “déchéance de fraternité”

Pendant tout le temps de la procédure, soit entre six et huit mois en moyenne, le contrat de travail est suspendu, le salaire non versé. « Nous sommes littéralement mis à découvert, on angoisse chaque jour mais on est bien obligés d’affronter notre destin », poursuit Mohamed. Non sans émotion, ils se souviennent tous les deux de ce jour de novembre 2023 pour l’un, mars 2024 pour l’autre, où ils ont appris qu’un titre de séjour officiel leur avait été attribué. « L’impression que la vie recommence, et cette peur qui nous collait à la peau s’envole », résume Bafodé. Tous deux ont pu signer un CDI à la Socopa… mais ils savent que viendra bientôt le moment de devoir renouveler leur titre de séjour. Les rendez-vous à la préfecture sont déjà pris.

Malheureusement, la loi immigration intégration asile du 26 janvier 2024 et la circulaire Retailleau de mai 2025 ont considérablement complexifié les démarches, « augmentant le nombre de documents à fournir et limitant drastiquement le renouvellement des titres de séjour pour un même motif », développent les militants de la Cimade. Pourtant, les besoins de main-d’œuvre existent bel et bien.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

« Tant que la réponse politique ne sera pas à la hauteur de la réalité des situations de travail – que les employeurs eux-mêmes dénoncent –, il nous faudra compter sur les démarches individuelles et pragmatiques », regrette Noëlle Maréchal. La situation de la Socopa n’est pas un cas isolé mais elle se révèle atypique en cela qu’elle démontre l’intérêt des employeurs à trouver un point d’appui, la CFDT, pour fidéliser les salariés, quels que soient leur situation et leur statut. « La section, de son côté, a su habilement tirer les fils pour développer un accompagnement et une reconnaissance de ces travailleurs, tant dans leur parcours professionnel que dans leur vie personnelle », note Arnaud Réguerre. Une belle leçon de syndicalisme utile et de solidarité.