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Lanceurs d'alerte : admirables mais fragiles
Parce qu’il a dénoncé la présence de métaux lourds dans la rivière Carol, Thierry Deschamps, ingénieur intègre, a subi les représailles de son employeur : conseil de discipline, arrêt de son contrat… Une épreuve inimaginable.

C’était son job : suivre les campagnes de surveillance de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques pour le compte de la Communauté de communes de Pyrénées-Cerdagne. Cette dernière l’avait précisément recruté en CDD, en juin 2018, afin de prendre en charge les nouvelles compétences sur l’eau de la collectivité : eau potable, assainissement, qualité des cours d’eau, etc.
Aussi, lorsque Thierry Deschamps détecte un certain nombre d’anomalies dont la présence de métaux lourds (arsenic) en un certain point de la rivière Carol, il trouve normal d’alerter. « En reprenant l’historique des analyses, on voyait très bien que d’année en année, les taux ne faisaient qu’augmenter, s’inquiète alors l’ingénieur. Cette eau étant destinée à des usages agricoles, maraîchage et élevage, la situation me semblait suffisamment grave pour devoir faire des investigations complémentaires, comprendre d’où venait la pollution et, surtout, voir quelles mesures de précaution il fallait prendre. »
Mais, du côté de sa hiérarchie comme de celui des élus, auxquels il fait part de ses craintes, on lui fait comprendre que son attitude dérange. « Nous étions fin 2019, en période préélectorale [les élections municipales étaient programmées en mars 2020], on me disait qu’il ne fallait pas faire de bruit avec ça, se souvient Thierry Deschamps, encore sidéré que l’on puisse écarter une affaire de pollution d’un revers de la main. »
Il décide alors de taper à une autre porte : celle de l’Agence de l’eau, à qui il envoie un rapport d’activité. Riposte immédiate : son employeur lui retire le dossier de la gestion des milieux aquatiques. Une convocation en conseil de discipline lui donne le coup de grâce. « J’en suis resté paralysé. Pour moi, c’était inimaginable, raconte-t-il. J’ai été sanctionné pour avoir fait mon travail. »
La convocation lui parvient en mars 2020, en plein confinement. « Ce contexte m’a permis de reposer les choses différemment. Jusqu’alors, j’étais obnubilé par les problèmes de pollution. Je ne pensais pas à me défendre. Là, j’ai compris qu’il fallait agir autrement. » En cherchant sur internet, il découvre l’existence de la Commission nationale Déontologie et Alertes en santé publique et environnement (cnDAspe), qu’il contacte. Là, on lui conseille aussi de saisir le Défenseur des droits – ces deux instances lui reconnaîtront la qualité de lanceur d’alerte.
Puis il se rapproche de la Maison des lanceurs d’alerte, qui va l’accompagner et communiquer avec la cellule Investigation de Radio France. « Il fallait que cette histoire soit révélée au grand jour. C’est un réconfort que les choses soient dites. » Son contrat avec la Communauté de communes de Pyrénées-Cerdagne n’a pas été renouvelé (la procédure est toujours en cours devant le tribunal administratif de -Toulouse, afin de faire reconnaître le caractère abusif de son éviction).
À 60 ans, désormais employé à temps partiel dans une structure de l’économie sociale et solidaire, Thierry Deschamps souhaiterait tourner la page. Mais seule l’issue favorable de son procès lui permettra de « solder l’histoire » pour de bon.
Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ?
Selon la loi Waserman du 21 mars 2022, est reconnu lanceur d’alerte « la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international ratifié par la France, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».
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