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Lanceurs d'alerte : admirables mais fragiles
Grâce aux lanceurs d’alerte, de nombreux scandales ont pu éclater et des actions ont pu être menées pour le bien de la communauté. Pourtant, la protection de ces vigies indispensables à la démocratie reste encore insuffisante. Beaucoup témoignent des répercussions sur leur situation professionnelle et personnelle.

Il y a les archiconnus médiatiquement. Le médecin Irène Frachon, qui a révélé le scandale du Mediator®, l’informaticien Julian Assange, qui a mis en lumière les pratiques de l’armée américaine en Irak, ou encore la journaliste Morgan Large, qui bataille contre l’agrobusiness en Bretagne. Et il y a des dizaines d’autres lanceurs d’alerte restés dans l’ombre, mais dont l’action est tout aussi courageuse et nécessaire. Tous ont en commun le courage d’avoir osé parler et mis au jour des pratiques frauduleuses, voire criminelles – détournements de fonds publics, atteintes gravissimes à l’environnement, à la santé, maltraitances institutionnelles –, au nom de l’intérêt général et du bien public. Au nom de leurs valeurs, parce qu’ils ne pouvaient pas – ou plus – se taire. Ce qui les unit également, c’est leur détermination face aux menaces, aux représailles et aux intimidations dont tous témoignent.
Certes, la protection des lanceurs d’alerte s’est sensiblement améliorée depuis une dizaine d’années au fil de trois lois successives. La loi Blandin, en 2013, concernait les alertes en matière de santé et d’environnement et permettait à des personnes morales ou physiques de prévenir d’un risque ou d’un danger. La loi Sapin 2, en 2016, focalisée sur la dénonciation de faits de corruption et de délinquance économique, mais à la procédure extrêmement contraignante pour les lanceurs d’alerte. Enfin, la loi Waserman, en mars 2022, qui apporte de nouvelles garanties et protections pour les lanceurs d’alerte. Cette loi assouplit les procédures pour lancer une alerte. Notamment, elle n’oblige plus le lanceur d’alerte à prévenir obligatoirement sa hiérarchie en premier – ce qui revenait souvent à étouffer l’affaire. Le lanceur d’alerte peut en référer directement à une autorité extérieure (DGCCRF, la Cnil, la Haute Autorité de santé…). Il peut notamment saisir le Défenseur des droits (DD) qui est désormais l’instance de référence en matière d’alerte. Entre autres missions, le DD instruit le dossier et peut accorder la qualité de lanceur d’alerte.
Une forme de reconnaissance, de soutien moral, qui peut être utile en cas de représailles. « Nous pouvons aussi intervenir auprès des employeurs ou venir en appui sur un dossier en justice. Une de nos forces est que nos avis et observations peuvent être rendus publics », indique Cécile Barrois de Sarigny, adjointe du DD. Pour autant, cette qualité de lanceur d’alerte a ses limites. Ce n’est pas un statut qui en ferait un bouclier contre toutes les attaques.
Épuisement moral et financier
1. Association créée le 22 octobre 2019 par dix-sept organisations pour accompagner les lanceurs d’alerte et améliorer leur protection. La CFDT-Cadres fait partie des membres fondateurs et siège au conseil d’administration.
« On parle de loi de protection des lanceurs d’alerte, mais la loi ne protège pas. Nous aurions voulu que les lanceurs d’alerte puissent bénéficier de la qualité de salarié protégé le temps de l’enquête. Cela n’a pas été retenu », regrette Glen Millot, délégué général de la Maison des lanceurs d’alerte 1.
À l’heure actuelle, souvent engagés dans des procédures interminables (au civil, parfois au pénal, ou devant le conseil de prud’hommes), les lanceurs d’alerte s’épuisent. La question des frais de justice est essentielle, la loi n’ayant pas prévu de dispositif d’aide juridictionnelle ni de fonds de soutien spécifique. « Au pénal, dans le cadre d’une procédure bâillon et quand le lanceur d’alerte a le statut de prévenu, il peut faire financer la procédure par la partie adverse », précise toutefois l’avocat Jérôme Karsenti.
L’accompagnement des lanceurs d’alerte – qu’il soit financier, psychologique ou juridique – fait aussi défaut et doit devenir une priorité. Les témoignages recueillis sont éloquents. Les lanceurs d’alerte se retrouvent vite isolés. Un message bien entendu par les organisations syndicales, auxquelles la loi confère un rôle de « facilitateur ». Une véritable responsabilité !
Un rôle de « facilitateur »
Depuis 2022, les organisations syndicales peuvent s’emparer d’une nouvelle possibilité créée par la loi Waserman pour soutenir des lanceurs d’alerte : celle-ci instaure le statut de « facilitateur » pour toute personne morale désireuse d’aider un lanceur d’alerte.
Le facilitateur ne donne pas l’alerte à la place du salarié mais il permet à l’organisation syndicale qui décide de l’accompagner de bénéficier de la protection qui lui est octroyée : protection contre des représailles, possibilité d’aider et de faire des démarches sans être inquiété juridiquement pour détention d’informations confidentielles. Si la nature de l’aide en question n’est pas précisée par la loi, elle peut prendre la forme de soutien moral, de conseils, d’un accompagnement juridique, éventuellement financier. « C’est une avancée importante de la loi, indique Glen Millot, délégué général de la Maison des lanceurs d’alerte, dont fait partie la CFDT-Cadres, car cela donne la possibilité d’instruire les dossiers confiés par des lanceurs d’alerte et de les soutenir. Ainsi, ils ne sont pas seuls ! Le rôle de facilitateur consiste aussi à les épauler afin qu’ils ne se mettent pas en danger de façon excessive. »
C. N