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En toute transparence ?
Président-directeur général de la coopérative UpCoop, Youssef Achour est l’un des rares dirigeants à s’exprimer en faveur d’une plus grande transparence des salaires. Selon lui, il est temps de mettre fin aux stéréotypes « sur le prétendu tabou français de l’argent ».

Pourquoi avoir senti le besoin de défendre la transparence salariale alors qu’il s’agit d’un sujet plutôt clivant côté employeurs ?
Je suis parti d’un constat. Dans toutes les entreprises où j’ai travaillé, on pouvait parler de tout librement… sauf des rémunérations. Cela restait un tabou. Et cette gêne, ce silence autour des salaires pouvait laisser entendre qu’il y avait un vrai problème, alors que ce n’était pas forcément le cas. Finalement, en n’abordant pas le sujet, on crée de la suspicion, on laisse la place aux suppositions, aux rumeurs.
En tant que président d’une coopérative, il m’est apparu nécessaire de démystifier ce sujet. Plus les salaires sont connus, plus le débat sur les rémunérations dans l’entreprise est pertinent. La transparence est un garde-fou. Cela oblige à mieux justifier l’augmentation de telle ou telle personne, cela oblige à se poser plus de questions car les salariés vont forcément se comparer.
La transparence ne va pas tout régler, mais au moins le débat autour du partage de la richesse peut se faire sur des données connues de tous.
“Nous avons une grille de rémunérations par métier. Ces grilles ont été négociées avec les partenaires sociaux et sont connues de tous les salariés.”
Comment cela se passe-t-il dans votre coopérative concrètement ?
Nous sommes dans une entreprise qui appartient à ses salariés. Chacun a un droit de regard sur la manière dont elle est gouvernée et sur la manière dont les politiques de rémunérations sont structurées. C’est pour ça que la transparence, ce n’est pas quelque chose d’inconnu pour nous. On l’a toujours pratiquée, simplement, on l’a fait évoluer. Quand je suis entré dans l’entreprise, il y a vingt-cinq ans, tout le monde pouvait connaître le salaire de chacun parce qu’on fonctionnait sur le principe de coefficient. Tel coefficient était rattaché à tel nombre de points.
On a changé de méthode il y a une quinzaine d’années pour donner des marges de manœuvre aux managers intermédiaires. Aujourd’hui, nous avons une grille de rémunérations par métier. Ces grilles ont été négociées avec les partenaires sociaux et sont connues de tous les salariés. Ces derniers ne connaissent plus exactement le salaire de leurs collègues, mais peuvent se situer dans une grille, avec un minimum et un maximum.
La transparence salariale est largement associée à la question de la lutte contre les inégalités de rémunération entre les femmes et les hommes. Chez vous aussi ?
Je défends la transparence pour lutter contre toutes les formes d’inégalité, mais je dois bien reconnaître que même dans une coopérative qui se veut exemplaire, l’inégalité entre les femmes et les hommes reste un sujet central. Nous avons dressé le constat que les hommes bénéficient des promotions les plus fortes et qu’ils sont majoritaires dans le haut des grilles de classifications.
C’est un combat permanent et c’est un de ceux que nous avons priorisés avec la direction des ressources humaines. On débloque des budgets complémentaires pour compenser, on ajuste en permanence… C’est pour ça que la transparence est fondamentale. Notre statut coopératif ne nous protège pas des biais de genre.
Il existe aussi une inégalité de rémunération entre métiers. Comment la justifier ?
C’est vrai que les écarts de rémunération entre, par exemple, un comptable et un informaticien sont dictés par le marché et pas par une prétendue valeur ajoutée qu’ils apporteraient à l’entreprise. Quand vous cherchez un spécialiste en cyberinformatique, vous savez qu’il faudra adapter votre rémunération à la pénurie actuelle de talents. Cela s’explique parfaitement aux salariés. Ils comprennent qu’à un moment, les réalités du marché s’imposent. Encore une fois, la transparence permet d’en débattre démocratiquement, en toute franchise.