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En toute transparence ?
Tomasz Obloj est professeur au sein du département management et entrepreneuriat à l’école de commerce Kelley de l’universite de l’indiana (États-Unis). Il est spécialiste des inégalités et iniquités dans les organisations.

Vous avez étudié l’évolution des rémunérations de cent mille universitaires américains entre 1997 et 2017, au fur et à mesure que la transparence des salaires se mettait effectivement en place. Quels effets avez-vous observés ?
Aux États-Unis, avec la loi sur la liberté d’information (Freedom of Information Act) de 1966, les salaires des employés des universités publiques étaient, en principe, consultables. Mais cette transparence est devenue plus réelle à partir de la fin des années 90, quand les données ont été plus facilement publiables sur internet.
L’objectif de l’étude était de voir si la transparence avait fait diminuer l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, qui était à l’origine compris entre 3 % et 12 %, selon les situations. Et, effectivement, les écarts de salaires ont diminué de façon assez spectaculaire au fur et à mesure que les données étaient de plus en plus connues : la transparence a réduit l’écart de moitié environ.
L’autre conséquence, c’est une plus grande compression des salaires. Les salaires sont non seulement devenus plus équitables mais aussi plus similaires, plus égalitaires.
“La transparence des salaires, c’est une décision stratégique, avec des coûts et des bénéfices liés aux choix effectués.”
Que pensez-vous de ces résultats ?
La transparence des salaires, c’est une décision stratégique, avec des coûts et des bénéfices liés aux choix effectués. Je pense que l’équité des salaires est un objectif fondamental. Donc, si une politique fait que les salaires sont plus équitables, c’est une bonne chose. Mais il y a aussi des coûts. Par exemple, dans d’autres études que j’ai menées, les personnes les plus performantes vont partir d’organisations transparentes pour chercher une embauche dans une entreprise qui ne l’est pas, où elles pourront être mieux payées.
On voit aussi dans d’autres études que la transparence, paradoxalement, donne plus de pouvoir aux entreprises dans les négociations, avec pour conséquence une baisse des salaires. Comme je le disais précédemment, avec la transparence, l’écart de salaires entre les personnes discriminées et les personnes qui ne le sont pas diminue, le salaire devient plus équitable, plus égal.
En moyenne, les salaires baissent par rapport à une situation où il n’y a pas la transparence. En fait, les organisations vont favoriser la progression des salaires des personnes lésées et pour les autres, la progression salariale sera moins forte que ce qu’elle aurait pu être. En tout cas, c’est ce que montrent mes recherches, mais il faut faire attention avant de généraliser.
Est-ce qu’il existe une réticence à la transparence des salaires ? Pourquoi ?
Je pense que la réticence vient autant des salariés que des entreprises. Du côté des salariés, je pense qu’il y a une peur liée au fait que parler salaire reste tabou dans de nombreux pays. Côté entreprises et administrations, il y a une réticence assez énorme car les organisations vont devoir expliquer les différences, et c’est beaucoup de boulot. Après, il y a aussi beaucoup de peurs infondées, comme le fait que la transparence va amener les salariés à travailler moins. Ce n’est pas vrai quand on regarde les données.