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Extrait de l’hebdo n°3864
La CFDT a commandé une étude afin d’évaluer l’efficacité et la pertinence de l’index de l’égalité professionnelle, quatre ans après sa mise en place. L’un des principaux résultats ? L’index égapro n’a pas eu d’effet détectable sur les inégalités dans les entreprises.

Comme c’est le cas chaque année, les très bons résultats obtenus par les entreprises qui ont calculé leur index de l’égalité professionnelle ne manqueront pas d’être salués par le ministère du Travail. Mais l’index de l’égalité professionnelle est-il un outil efficace permettant de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes ? Permet-il une photographie réelle des inégalités constatées dans les entreprises ? Des questions auxquelles la CFDT a souhaité obtenir des réponses, en commandant avec l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) une étude pour évaluer les effets de l’index égapro quatre ans après sa mise en place. Une équipe de l’Institut des politiques publiques (IPP), dirigée par Thomas Breda (directeur du programme emploi) a répondu à la commande et présenté ses résultats le 6 mars à la Confédération.
Un grand nombre de salariés exclus de cet outil de mesure
Les chercheurs font quatre constats principaux. Tout d’abord, la couverture de l’index est loin d’être parfaite. Seules 45 % des entreprises assujetties à l’obligation de calculer l’index ont pu produire une note sur 100 concernant les données de l’année 2020. Les autres « omettent » de le déclarer (30 % des entreprises assujetties) ou le déclarent incalculable. Si l’on rapporte au nombre total de salariés dans le secteur privé en France, l’index calculé ne couvre que seulement 25 % d’entre eux. Parce que l’index est une obligation réservée aux entreprises de plus de 50 salariés, 44 % des salariés français se retrouvent donc exclus de cet outil de mesure.
Autre constat des chercheurs : d’une part, les critères méthodologiques retenus par le législateur afin de calculer l’index tendent à invisibiliser les inégalités réelles entre les femmes et les hommes. Le champ de mesure est réduit car seuls les salariés qui ont moins de six mois d’ancienneté sont comptabilisés, et il faut avoir au moins trois femmes et trois hommes pour effectuer le calcul. D’autre part, les écarts sont atténués en défaveur des femmes, avec l’application d’un seuil de tolérance et un effet asymétrique (un écart en défaveur des femmes compte moins qu’un écart en défaveur des hommes).
Ensuite, l’équipe de l’Institut des politiques publiques s’est demandé si les entreprises qui déclarent leur index égapro sont plus vertueuses en matière d’égalité professionnelle que celles qui ne le déclarent pas. En se fondant sur des données issues des déclarations administratives de données sociales et en faisant leurs propres calculs, les chercheurs estiment qu’il n’y a pas de différence majeure concernant les écarts salariaux entre les entreprises qui déclarent l’index et celles qui ne le font pas. Ils estiment ne pas pouvoir conclure que les entreprises les moins vertueuses ne déclarent pas leur note à cause d’une visée stratégique. Mais ils relèvent que les règles de calcul tendent à exclure les entreprises globalement les moins vertueuses.
L’effet positif de l’index égapro à court terme n’est pas prouvé
Enfin, l’index a-t-il permis de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes depuis sa mise en place ? L’augmentation des notes au fur et à mesure des années ne peut prouver l’effet de l’index, peut-on lire dans l’étude. « Les inégalités de salaire tendent à se réduire sur le long terme, de sorte que même en l’absence de l’index, les entreprises concernées auraient pu voir leurs niveaux d’inégalité baisser. Ensuite, l’index offre une mesure assez bruitée des inégalités réelles, et les modalités de calcul de l’indicateur d’écart salarial sont complexes et peuvent varier au cours du temps, de sorte qu’il n’est pas certain que des meilleures notes soient effectivement synonymes de réduction réelle des inégalités salariales », précisent les chercheurs. « Les entreprises de moins de 50 salariés [non assujetties à l’index] et celles ayant juste au-dessus de 50 salariés [assujetties à l’index] ont des trajectoires totalement parallèles en termes d’inégalités femmes-hommes entre 2010 et 2020. En particulier, nous n’observons pas de changement de tendance pour les entreprises assujetties à partir de la mise en place de l’index. » L’équipe n’exclut cependant pas que l’index puisse avoir des effets à plus long terme.
Ces enseignements vont permettre à la CFDT de demander au ministère du Travail des améliorations. « Nous souhaitons une discussion avec le ministère pour que l’index devienne vraiment opérationnel, avec des indicateurs plus faciles à construire et à lire. Pour le moment, nous ne sommes pas entendus », a déclaré Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT chargée de l’égalité professionnelle, à l’issue de la présentation de l’étude. « Il faut aussi en finir avec l’effet pervers de l’index : les entreprises qui obtiennent de bonnes notes se disent qu’elles n’ont plus rien à faire en termes d’égalité professionnelle, et finalement rien ne change. »
Qu’est-ce que l’index de l’égalité professionnelle ?
Toutes les entreprises d’au moins 50 salariés doivent, depuis 2019, calculer et publier leur index de l’égalité professionnelle (sur 100 points), un outil de mesure constitué de plusieurs indicateurs :
• l’écart entre les rémunérations des femmes et des hommes (noté sur 40 points) ;
• les différences femmes-hommes concernant la mobilité salariale – augmentations, promotions (notées sur 35 points) ;
• l’augmentation des salaires des femmes de retour d’un congé maternité (15 points) ;
• le nombre de femmes et d’hommes parmi les dix plus hautes rémunérations (10 points).
Si l’entreprise obtient une note globale inférieure à 75/100, des mesures de correction et de rattrapage doivent être prises sous peine d’avoir à régler des pénalités financières. Si la note est inférieure à 85, l’entreprise doit fixer des objectifs de progression concernant chacun des indicateurs.