Fonctions publiques, le grand retard

Face aux épisodes climatiques extrêmes, peu de mesures protègent les agents. Les investissements ne sont pas à la hauteur des besoins, et les plans d’adaptation restent nettement insuffisants.

Par Emmanuelle PiratPublié le 01/10/2025 à 13h15

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N Guyonnet Hans Lucas

ANiort, la semaine dernière, nous avons eu jusqu’à 37,9 °C dans la salle où la collecte était organisée. Il y a eu des malaises, des personnels ont vomi. Ça n’est plus tenable de travailler et d’accueillir les donneurs dans ces conditions. Il faut revoir le modèle », explique Benoît Lemercier, le délégué syndical central CFDT de l’Établissement français du sang. À l’instar des personnels de l’EFS, nombre d’agents publics ont souff ert cet été : personnels pénitentiaires, des centres aérés, des Ehpad, des hôpitaux, pompiers, agents travaillant en extérieur (espaces verts, collectes des déchets, etc.)… Nombre de reportages, tournés dans divers établissements ou services, ont montré comment chacun tentait de s’adapter, souvent en bricolant : rangées de ventilateurs couverts de linges humides dans les couloirs, fenêtres occultées avec des couvertures de survie… Système D !

Face à la multiplication et à l’intensifi cation des épisodes climatiques extrêmes, qu’il s’agisse de canicules, d’inondations, de tempêtes ou de tornades, le bricolage ne peut faire offi ce de politique publique. Le manque de préparation et d’anticipation des administrations s’avère problématique. La Cour des comptes l’a d’ailleurs souligné dans un rapport de 2024, pointant le retard de l’action publique en matière d’adaptation au changement climatique. « La dynamique positive observée ces dernières années semble désormais paralysée. Alors que l’urgence ne s’est jamais autant fait sentir, alors que le service public est en première ligne, on est dans une sorte d’immobilisme. Et les décisions budgétaires montrent que la priorité n’est pas donnée à ce sujet-là », regrette Raphaël Yven, cofondateur du Lierre*, un réseau de professionnels de l’action publique en faveur de la transition écologique. Or l’adaptation au changement climatique nécessiterait des investissements colossaux, notamment liés à la rénovation thermique des bâtiments, souvent vétustes.

Certes, la réglementation en vigueur depuis le 1er juillet 2025 impose aux employeurs publics de « renforcer la prévention des risques liés aux fortes chaleurs », et notamment d’« adapter et réévaluer quotidiennement les risques encourus par les agents en fonction » : ajustement de la charge de travail, des horaires et, plus généralement, de l’organisation du travail ; révision de l’occupation des lieux et postes de travail (aménagement d’espaces refuges dans des pièces plus fraîches et/ou climatisées, etc.) ; décision éventuelle de fermer un service ou une activité lors des pics de chaleur. Mais il est encore trop tôt pour dresser un bilan complet de l’application de ces dispositions.

Trop peu d'anticipation malgré des drames successifs

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Emmanuelle Pirat
Journaliste

Sans attendre la circulaire, plusieurs collectivités ont d’ores et déjà pris des mesures et rédigé des plans d’adaptation aux fortes chaleurs – surtout pour les services techniques et les personnes travaillant en extérieur. Ainsi, la Communauté d’agglomération du pays de Saint-Omer (Capso) a voté dès 2017 un plan canicule permettant d’adapter les horaires des ripeurs. « La tournée de l’après-midi, eff ectuée habituellement entre 13 h 42 et 20 heures, est décalée entre 19 h 42 et 3 heures », explique Kevin Loyer, chauff eur-ripeur à la Capso et militant du Syndicat Interco CFDT des communaux du Pas-de-Calais. Si la mesure rend la tournée moins pénible pour les agents, elle n’est pas du goût de tout le monde : « Sur les réseaux sociaux, les gens râlent ; on se fait insulter parce que leurs poubelles ne sont pas ramassées aux heures habituelles ! », déplore Kevin. Les fortes intempéries ayant mis sous l’eau des villages entiers, entre la fi n 2023 et le début 2024, ont également marqué les esprits. Beaucoup de personnes l’ont vécu en première ligne, personnellement et/ou professionnellement. « Malheureusement, aucune collectivité n’a ensuite délibéré offi  ciellement et pris les mesures permettant de se préparer aux épisodes à venir, dénonce Emmanuelle CourquinPoly, responsable de la CFDT communaux 62. On n’a tiré aucune leçon de ces drames. »

Surchauffe à l’hôpital

Alors que les canicules impactent fortement patients et soignants, rien n’a été réellement pensé pour y faire face.

Fin juin 2025, le Cher, comme seize autres départements, bascule en alerte rouge canicule. À l’hôpital psychiatrique George-Sand de Bourges, la température dans la cafétéria a passé le cap des 33 °C, poussant la direction à la fermer. « Les patients ont dû être confi nés dans leurs chambres, restées plus fraîches. Cela a généré tension et agressivité, car la cafétéria est un lieu essentiel pour eux. Cela a été compliqué à gérer. On a vu à quel point la canicule pouvait impacter les organisations de travail… et que rien n’a été anticipé ! », explique Habiba Azouzi, secrétaire générale du Syndicat Santé-Sociaux du Cher.

À l’hôpital de Vierzon, très vétuste (le bâtiment date du XIXe siècle), 35 °C ont été relevés dans les couloirs et les chambres, avec des conséquences délétères sur les patients (dont un risque majoré de déshydratation) et les soignants. « Cela a un impact sur notre moral, sur notre patience aussi », lâche une infi rmière à bout de forces. De plus, les températures caniculaires engendrent une hausse des admissions aux urgences, donc un surcroît d’activité.

« Comment va-t-on faire avec des épisodes plus précoces et fréquents ? », interroge Habiba. En Espagne, des hôpitaux ont décalé certains soins la nuit. En France, il ne semble pas encore en être question. « Le risque, sans politique d’anticipation, c’est de stagner dans le registre de la maladaptation, c’est-à-dire des solutions valables à court terme mais qui ne permettent pas de résoudre durablement le problème » , affirme Julien Brunier, directeur de projet transition écologique à l’École des hautes études en santé publique.