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+ 4 degrés : Le travail à l'épreuve du réchauffement
Si les effets du changement climatique sont désormais reconnus en matière de santé publique, le monde du travail peine à s’adapter. Pourtant, les risques professionnels associés au réchauffement
sont énormes. La réglementation et les mesures préventives, elles, restent parcellaires.

Lorsque, dans les années 2000, les experts du climat ont émis l’idée de devoir vivre dans une France à + 4 °C à l’horizon 2100, beaucoup ont crié à la politique-fi ction. Un quart de siècle plus tard, ce scénario n’a plus rien d’une hypothèse farfelue. Comme un énième avertissement, l’été 2025 – le troisième été le plus chaud jamais enregistré – nous indique ce qui pourrait devenir la norme d’ici à 2050.
Or, si les eff ets du réchauffement climatique sur la vie quotidienne commencent à être perçus de tous, lesdits effets sur le monde du travail sont encore largement sous-estimés.
Un droit du travail trop silencieux
Les données chiffrées sont pourtant édifiantes : «Chaque année, 2,41 milliards de travailleurs dans le monde sont exposés à une chaleur excessive, ce qui entraîne près de 19000 décès», rappelle l’Organisation internationale du travail. En France, sept accidents du travail mortels en lien avec la chaleur ont été recensés en 2024 par Santé Publique France, et 72 depuis 2017. Les agriculteurs, ouvriers du bâtiment ou personnels de sécurité sont en première ligne car travaillant davantage en extérieur. À des degrés divers, le changement climatique affecte tous les travailleurs. Fatigue, baisse de la vigilance, déshydratation: les effets néfastes de la chaleur, multiples, constituent autant de risques professionnels. Durant l’épisode caniculaire de 2019, la température dans certains bus avait atteint 55 °C, provoquant 21 malaises chez les conducteurs.
En France, le code du travail ne fixe aucun seuil de température au-delà duquel le travail doit cesser – alors que c’est le cas en Belgique, Espagne et Grèce. Certes, les salariés peuvent exercer leur droit de retrait en cas de « danger grave et imminent »… mais ce droit reste largement méconnu et difficile à faire respecter puisque les travailleurs doivent préalablement apporter la preuve que l’employeur n’a pas mis en place les mesures de protection nécessaires. « Globalement, les dispositifs réglementaires en vigueur restent insuffisants, s’inscrivant dans une logique de gestion d’événements exceptionnels, au détriment d’une approche structurelle et systémique », résume l’économiste Salima Benhamou1. L’Hexagone dispose depuis 2011 d’un Plan national d’adaptation au changement climatique (dont le troisième volet a été dévoilé au printemps dernier), mais les avancées sont pour le moins timides en matière de prévention des risques professionnels.
Un petit espoir a émergé en juillet dernier avec la publication du décret relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à la chaleur. Il impose aux employeurs privés et publics de prendre des mesures de prévention en cas de fortes chaleurs : aménagement des horaires, allongement des temps de pause,
adaptation des tenues et équipements de protection individuelle…
Toutefois, deux écueils subsistent, souligne Laurence Guéret, du cabinet d’expertise Syndex : « Le décret n’est passuffisamment contraignant. L’inspection du travail, chargée du contrôle, n’a pas le pouvoir d’arrêter un chantier en cas de manquement. De plus, les alertes de Météo France (vigilance jaune, orange ou rouge), qui déclenchent telle ou telle mesure de prévention, ne peuvent pas être le seul juge de paix. La majorité des accidents mortels ont en effet eu lieu en période de vigilance verte. »
La mobilisation des pouvoirs publics en matière d’adaptation des conditions de travail au changement climatique reste tardive et parcellaire, les solutions sont peut-être à chercher au plus près du terrain, même si les exemples sont peu nombreux : à ce jour, moins d’une cinquantaine d’accords (signés depuis 2017) traitent de l’adaptation des conditions de travail au changement climatique. Les branches professionnelles, quant à elles, avancent en ordre dispersé. Certaines ont pris la mesure de l’enjeu, d’autres font de la résistance, craignant de remettre en cause leur modèle économique.
Pourtant, préparer le monde du travail à un climat extrême est une nécessité économique, un défi démocratique et un devoir de justice sociale. Encore faut-il avoir le courage collectif et politique de faire les bons choix, avant d’y être contraints et forcés.