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Extrait de l'hebdo n°3981
À cinq mois des élections municipales (premier et second tours les 15 et 22 mars 2026), les militants du Réseau pour la démocratie et contre les idées de l’extrême droite vont occuper le terrain. Réunis à Bierville (Essonne) les 29 et 30 septembre, ils ont redit leur détermination à porter un projet plus juste, plus solidaire et plus inclusif.

Oui, l’extrême droite est raciste. Oui, l’extrême droite est misogyne. Oui, l’extrême droite s’attaque aux droits des travailleurs. Si ses trois affirmations peuvent paraître des poncifs, le répéter ne suffit plus… comme en témoigne le nombre d’électeurs, de plus en plus grand, trompés par des discours policés sur la nature de son projet conservateur. Parce qu’elle n’accepte pas cet état de fait, la CFDT a lancé son Réseau militant pour la démocratie et contre les idées de l’extrême droite, un groupe actif qui réunit aux côtés de la Confédération une cinquantaine de militants issus des quinze fédérations professionnelles et des treize URI1. L’ambition première du collectif réside dans la mobilisation des responsables militants face à l’extrême droite. « C’est collectivement que nous ferons face, c’est collectivement que nous devons construire une dynamique, c’est collectivement que nous devons identifier et partager les bonnes pratiques mais aussi outiller les organisations et les militants pour leur permettre d’aller discuter avec les travailleurs », affirme Thibaud Kurtz, délégué démocratie et lutte contre les idées d’extrême droite à la Confédération.
Selon l’extrême droite, les syndicats ne servent à rien
Réunis à Bierville le temps d’un séminaire de formation, les 29 et 30 septembre deniers, les responsables CFDT ont pu tester et affiner différents supports (argumentaires et outils) avant leur diffusion à plus grande échelle et se sensibiliser aux menaces que fait peser l’extrême droite sur le syndicalisme à travers des jeux de rôle ou des quiz.
Pour vous qui nous lisez, voici une devinette. Quel est l’auteur des propos suivants ? « Les syndicats sont les croque-morts du monde économique et du travail, ils ne servent à rien. » Réponse : Louis Aliot, maire Rassemblement national de Perpignan, en 2022. Une autre ? « De toute façon, la CFDT, c’est un syndicat jaune toujours prêt à trahir les travailleurs. Il n’y a aucune surprise que la CFDT ne défende pas les ouvriers. » C’est signé Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, en juin 2025. Malgré les trois années qui séparent ces deux déclarations, soulignons une certaine continuité idéologique. Les militants CFDT qui défendent leurs collègues au quotidien apprécieront.
“Mettre les pieds dans le plat”
« Quand parler de valeurs ne suffit plus, il est indispensable de rappeler les intentions réelles de l’extrême droite à celles et ceux qui, parfois, y compris dans nos rangs, peuvent se laisser séduire », insiste Thibaud Kurtz. C’est justement en vue de rappeler ces intentions que le réseau va sillonner le territoire national dès cet automne. « À quelques mois des municipales, il faut mettre les pieds dans le plat et être à l’écoute des inquiétudes que peuvent exprimer les adhérents », clame Julien Durand, de l’URI Nouvelle-Aquitaine, qui organisera une série d’afterworks dans chacun des départements de la région d’ici à la fin de l’année.
C’est dans cette même optique que l’URI Auvergne-Rhône-Alpes organisera (en lien avec la Fédération des Services) un rassemblement d’une cinquantaine de jeunes les 11 et 12 décembre prochains autour des combats historiques de la CFDT contre l’extrême droite mais aussi de thématiques plus récentes « travesties » par l’extrême droite (égalité professionnelle, transition écologique…). « Les jeunes adhérents ne comprennent pas toujours notre opposition frontale à l’extrême droite. C’est pourquoi nous voulons qu’ils abordent des sujets sur lesquels ils sont particulièrement sensibles et engagés, et leur montrer en quoi ce que l’extrême droite propose est une menace », explique Sonia Paccaud, secrétaire régionale adjointe de l’URI Auvergne-Rhône-Alpes.
Écouter et “aller vers”
La Tournée Démocratie, initiative lancée par la Confédération, partage en partie les mêmes objectifs. D’octobre à décembre 2025, des débats seront organisés dans les villes moyennes, où la mobilisation contre la réforme des retraites de 2023 avait été particulièrement forte, avec l’ambition d’« aller vers » celles et ceux – adhérents ou non – qui se sentent oubliés, méprisés ou ont tout simplement envie de parler de la démocratie et du rôle du syndicalisme aujourd’hui. « Il est indispensable d’écouter les inquiétudes des travailleurs et des travailleuses, sans jugement, partout où c’est possible ; leurs espoirs aussi. Leur rappeler que lorsque les militants CFDT agissent pour de meilleures conditions de travail et obtiennent des avancées dans leurs entreprises ou administrations, ils participent pleinement à l’exercice démocratique », poursuit Thibaud Kurtz. En Hauts-de-France, deux débats sont d’ores et déjà prévus, à Douai (le 28 octobre) et à Lille (le 16 décembre).
Des sections déstabilisées
Pour la CFDT Interco, la menace de l’extrême droite n’est pas une vue de l’esprit. La fédération et ses militants y sont directement confrontés dans les communes qui ont basculé lors des municipales de 2020. D’après certaines estimations, ces communes pourraient être une cinquantaine de plus de 20 000 habitants à prendre le même chemin en 2026. Une enquête, à laquelle 60 des 108 syndicats de la fédération ont répondu, confirme d’ailleurs cette tendance au sein des collectifs de travail. « La diffusion des idées d’extrême droite se poursuit, elle déstabilise la vie des sections, elle met à mal le dialogue local », détaille Matthieu Fayolle, secrétaire fédéral.
Ainsi, 78 % des répondants constatent sa progression sur les lieux de travail (43 % sur quelques lieux, 23 % dans beaucoup de lieux). Dans 44 % des cas, cela se traduit par des discours à caractère antidémocratique ou complotiste et à des références à une appartenance à la mouvance identitaire ou nationaliste (22 %). Par ailleurs, l’enquête révèle que 40 % des représentants CFDT confrontés à un exécutif d’extrême droite subissent une restriction des moyens syndicaux, et 20 % l’instauration d’un climat de peur et d’autocensure. Cette vague brune pousse 77 % des syndicats à demander des outils permettant de renforcer les capacités de leurs militants et adhérents, de les aider à argumenter, tenir un échange contradictoire et déconstruire les idées d’extrême droite.
« Nous devons réinstaurer la culture du dialogue », insiste Mélanie Meier, animatrice d’une formation « Armons-nous contre les idées d’extrême droite », mise en place au début de l’année par l’URI Bourgogne-Franche-Comté. Cette session d’une journée doit permettre aux militants de combiner apports théoriques et exercices pratiques afin de renforcer l’argumentaire face à la montée du vote extrême dans la région (près de 34 % lors des législatives de 2024). C’est une marée montante, mais un tsunami encore évitable, estime Thibaud Kurtz : « Il est tard, mais il est encore temps ! »
Quelles ripostes face aux menaces sur les libertés associatives ?
De quelles façons et à quel degré les capacités d’action des associations et des ONG sont-elles entravées aujourd’hui en Europe ? Et comment lutter ? C’est pour répondre à ces questions que plusieurs têtes de réseaux associatifs ont lancé un travail d’envergure, accompagnées par le collectif La Cause2. Partant d’une étude comparative de la situation des libertés associatives dans huit pays européens (Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie et Suède), ce travail a été présentée aux membres du réseau LED3 lors d’un webinaire le 3 octobre. De quoi enrichir la réflexion des militants après leur séminaire de deux jours, à la fin septembre, à Biervillle.
Intitulé « Mesures de sauvegarde des libertés associatives, une démarche collective face aux risques liés au rétrécissement de l’espace civique », ce travail met en évidence des tendances communes, à des degrés divers, à ces différents pays : augmentation de la répression contre les militants et manifestants ; restrictions des libertés individuelles ; disqualification des ONG, en critiquant leur « politisation » (le fait, par exemple, de qualifier d’écoterroristes des activistes en faveur de l’environnement), etc. Les structures sont également attaquées au porte-monnaie : réduction de leurs ressources financières, accroissement des contraintes administratives de fonctionnement (qui alourdissent les coûts et entraînent une forme d’usure auprès des militants) ou multiplication des procédures-bâillons.
Cette comparaison européenne a servi de base de travail aux militants CFDT du Réseau militant de lutte contre les idées d’extrême droite afin d’identifier les risques et de renforcer la capacité des associations à se défendre sur les plans juridique et financier. Une étude riche de pistes de réflexion pour les syndicalistes…