Extrait du magazine n°491
L’auteur de la trilogie des Fourmis est un écrivain prolifique, et un artiste touche-à-tout. Actuellement en tournée avec son spectacle Voyage intérieur, il invite son public à un « tourisme spirituel » et à se redécouvrir soi-même. Entretien.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre spectacle ?
C’est un « otni », un objet théâtral non identifié, avec un mélange d’hypnose, de méditation et de seul-en-scène. Je propose cinq méditations guidées pour mieux se connaître. L’idée, c’est de faire du « tourisme spirituel », d’accompagner les gens pour qu’ils se remémorent leur enfance, qu’ils se projettent dans leur futur… et dans leurs vies antérieures.
Je n’ai aucune vérité à vendre ni aucune conviction à transmettre. Les gens viennent avec leur spiritualité et repartent avec leur spiritualité. Ceux qui doutent continueront de douter et ceux qui croient continueront de croire. Je suis moi-même quelqu’un qui doute plutôt que quelqu’un qui croit, tout simplement parce que j’ai une formation de journaliste scientifique. J’ai appris qu’il fallait vérifier les informations et confronter les points de vue. Ceux qui disent que la réincarnation n’existe pas, ils n’en savent rien ; ceux qui disent que c’est possible, ils n’en savent rien non plus.

Quelle est l’ambition de ce Voyage intérieur ?
Je ne demande pas aux gens de croire mais d’expérimenter. C’est d’ailleurs pour ça que j’aime bien la position d’agnostique, que l’on pourrait résumer à « je ne sais pas ». Elle n’empêche pas de rechercher ni de s’informer mais permet d’être curieux.
Les expériences que j’ai vécues m’ont apporté beaucoup d’ouverture d’esprit, une meilleure connaissance des différentes époques et de précieux matériaux pour l’écriture de mes romans. Cela rend aussi plus tolérant parce qu’en tant qu’homme, on peut avoir un point de vue de femme ; en tant que riche, on peut avoir un point de vue de pauvre ; en tant qu’Occidental, on peut avoir le point de vue d’un Oriental, d’un Africain ou d’un Amérindien. Tout cela favorise l’ouverture d’esprit et la curiosité. Encore une fois, on y croit… ou pas.
“Il est déterminant de ne pas être lâche, de ne pas se taire. Il est important de nommer correctement les choses. Il faut appeler un assassin un assassin.”
Histoire, philosophie, science ou encore mythologie, les multiples champs de vos ouvrages invitent à la curiosité. Transmettre est important pour vous ?
C’est essentiel. D’ailleurs, s’il n’y avait qu’une seule valeur à transmettre aux enfants, ce serait bien celle-là. La curiosité, ça va leur donner envie de lire. La lecture, ça leur apportera tout le reste.
Il faut donner envie aux jeunes d’aller vers la connaissance et la subtilité plutôt que vers la brutalité et le défoulement. Internet est un outil formidable pour cela. Ce n’est pas qu’un lieu pour suivre des influenceurs ou des débats dans lesquels tout le monde s’insulte, c’est un lieu de connaissance, c’est la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie. Nous avons accès à cette chose qui manquait aux générations précédentes, la « formation continue ».
On apprend tout le temps et sur tout. À partir de là, mon travail d’écrivain consiste à puiser et à proposer une grille de lecture de la société. Je considère que c’est d’autant plus important que l’on constate un retour des obscurantismes. À ce titre, les professeurs sont des héros. Ils luttent contre l’ignorance et l’obscurantisme. Leur statut est très difficile actuellement, parce qu’ils se retrouvent tout seuls face à des élèves de plus en plus violents, avec des parents de plus en plus menaçants. Samuel Paty est un martyr de cette lutte. Son assassinat est la preuve qu’il y a un retour de l’empêchement de diffuser les connaissances. C’est le cas partout dans le monde, comme en Afghanistan, où les jeunes filles n’ont plus le droit d’être éduquées.
L’écrivain a un rôle essentiel à jouer ?
Je ne sais pas comment empêcher l’obscurantisme de se répandre mais je peux dire ce que je pense. Il est déterminant de ne pas être lâche, de ne pas se taire. Il est important de nommer correctement les choses. Il faut appeler un assassin un assassin. Il faut appeler un fanatique un fanatique, et cela quels que soient le motif, les convictions défendues ou la religion de la personne.
Bertolt Brecht disait : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. » Cette « bête », elle apparaît sous différentes formes. Elle peut être rouge, verte ou noire. Dans tous les cas, ça s’appelle du totalitarisme et ça vise à empêcher l’expression des opinions personnelles. Au nom de la lutte contre un type de totalitarisme, il ne faut pas laisser s’en installer un autre. Le combat pour les Lumières n’est jamais fini.
Vos romans collent à l’actualité, qu’elle soit sociale, politique ou géopolitique ; vous voyez-vous comme un historien du temps présent ?
La première chose que je fais le matin, c’est d’écouter les actualités. Je suis passionné par la géopolitique. Le monde n’est rien d’autre qu’un grand échiquier. C’est aussi le support de mon dernier roman, La Diagonale des reines.
J’adore donner les informations sur les enjeux géopolitiques à mes lecteurs… et les alerter aussi. Il y a plusieurs grands blocs ; parmi eux, les États-Unis, la Chine ou encore la Russie. Chacun veut asseoir sa puissance, par l’argent, la guerre, par des cyberattaques ou par le terrorisme. Tous essayent de grappiller un peu de terrain sur les autres. En ce moment, les Chinois ont l’avantage, parce qu’ils ne sont pas dans une démocratie : pas d’opposition, pas de presse libre, pas de syndicats indépendants. Le pays possède une masse ouvrière énorme qui coûte beaucoup moins cher qu’en Occident. L’Occident qu’elle attire, qu’elle déstabilise économiquement et qu’elle fait céder en lui adressant un discours simple : « Vous ne voulez pas polluer, vous ne voulez pas payer les ouvriers ; eh bien, venez chez nous ! On est moins regardants. » La France doit être à la hauteur de ces enjeux, au risque de devenir un gigantesque musée dans lequel il n’y aurait que du vin, la tour Eiffel et le Louvre.
“Les rats et les fourmis représentent les deux grandes tendances de l’humanité. Les rats recherchent systématiquement le rapport de force […] et l’élimination des faibles […]. Chez les fourmis, c’est le contraire. On secourt les blessés.”
Qu’il s’agisse des fourmis ou des rats, les animaux sont régulièrement les protagonistes de vos livres. Est-ce pour mieux parler de notre société et du regard que vous portez sur elle ?
Tout à fait. Les rats et les fourmis représentent d’ailleurs les deux grandes tendances de l’humanité. Les rats recherchent systématiquement le rapport de force, avec des hiérarchies, des rois, des barons et l’élimination des faibles, des plus vieux et des enfants qui ne sont pas assez dynamiques. Ils procèdent à une sorte de sélection darwinienne qui entraîne une forme d’élitisme, de fascisme.
Chez les fourmis, c’est le contraire. On secourt les blessés. Il y a une entraide générale. Elles ont d’ailleurs un jabot social [deuxième estomac] qui leur permet de garder de la nourriture pour les autres. Elles sont en permanence connectées sur la collectivité. Elles ne se sentent bien que si le collectif vit bien. Et, contrairement à ce qu’on pense, elles ont aussi leur libre arbitre.
Les fourmis pourront-elles l’emporter ?
Je suis optimiste. Je crois que les gens qui ont envie que nous vivions en bonne entente les uns avec les autres, à la manière des fourmis, sont plus créatifs que les gens qui veulent reproduire l’esclavage. Il ne faut pas être naïf non plus. Il faut un mouvement planétaire. Cela ne sert à rien qu’un pays se comporte de manière vertueuse si les voisins agissent comme des pourritures et abusent de cette faiblesse. Cela prendra du temps pour parvenir à cette harmonie.
Ensuite, il faudra se réconcilier avec la planète, repenser notre modèle de consommation, de production et même de reproduction. C’est aussi se poser la question de la maîtrise de la natalité mondiale. Ce qui est en train de détruire l’eau, l’air, les forêts et la biodiversité, c’est notre nombre. À travers ses raz de marée, ses incendies, ses virus, la planète exprime sa souffrance.
C’est tout ce dont je parle dans mes livres. J’espère que cela inspirera des gens qui donnent envie à d’autres d’agir, qu’ils soient scientifiques, syndicalistes ou youtubeurs, afin qu’on en finisse avec le « chacun pour sa gueule » et qu’on réfléchisse ensemble à comment vivre mieux. Il faut une pensée globale de redistribution – malheureusement, le mot a mal été exploité – et de réharmonisation des rapports sociaux. Cela doit se faire dans la douceur.
Je ne crois pas aux révolutions violentes. Dès lors que l’on parle de violences, de menaces, on est dans l’erreur. Il ne faut rien casser. Il faut convaincre par des arguments logiques que si nous voulons laisser une planète viable, avec une humanité qui ne se fait pas la guerre, nous devons trouver de nouvelles règles. Au risque que la bête rouge, verte, noire, ou peu importe sa couleur, revienne avec son principal argument : la peur.
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