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Entreprises à mission : au-delà du profit

iconeExtrait du magazine n°496

Ce cadre juridique, instauré par la loi Pacte du 22 mai 2019, doit permettre de réconcilier performance économique et responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Même s’il est plus engageant que les seules stratégies RSE, il doit être renforcé afin de devenir un réel moteur de transformation.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 29/09/2023 à 09h00

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Nicolas Guyonnet / Hans Lucas - David Nivière / abacapress.com - Thierry Stefanopoulos / RÉA - Éric Chauvet / Saif image

Réconcilier l’entreprise avec l’intérêt collectif : tel est l’objectif assigné au dispositif des entreprises à mission, créé par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). Ce cadre juridique est censé inciter les entreprises à répondre à d’autres objectifs (environnementaux, sociétaux) que la seule recherche du profit financier.

Cette innovation est la concrétisation d’un long processus de réflexion et de travaux académiques conduits depuis 2007 au sein de Mines ParisTech (l’école s’appelle désormais Mines Paris – PSL). Un travail repris dans le rapport Notat-Senard, « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » (mars 2018), en réaction au mouvement de financiarisation de l’économie qui sévit depuis les années 1980, avec ses corollaires : la toute-puissance des actionnaires et la déconnexion de l’entreprise avec son environnement.

Une raison d’être, des engagements précis

L’entreprise que l’on souhaite faire devenir société à mission doit se doter d’une raison d’être (par exemple, contribuer au développement des territoires sur lesquels elle développe son activité, à l’instar de La Poste Groupe) et décliner celle-ci en engagements précis. Et afin d’éviter les simples déclarations d’intention ou coups de com, deux garde-fous ont été érigés. D’une part, en interne, un comité de mission veille au respect des décisions prises. Il doit fournir chaque année un rapport, lequel est présenté en assemblée générale. D’autre part, un audit externe, effectué tous les deux ans par un organisme tiers indépendant (OTI), doit être publié sur le site de l’entreprise.

Camif, Maif, Danone, La Poste Groupe, Bayard (lire l’encadré) ou, plus récemment, Enedis font partie des 1 241 entreprises à mission recensées en juillet  2023. « C’est à la fois une goutte d’eau au regard du nombre d’entreprises françaises mais aussi une réelle dynamique qui est lancée puisque le nombre d’entreprises à mission double chaque année ! », indique Alain Schnapper, directeur général de la Communauté des entreprises à mission, une association qui regroupe quelque 400 adhérents.

Quels sont les effets d’un tel changement ?

« Ce n’est pas le grand soir. Une entreprise qui devient société à mission ne se transforme pas du jour au lendemain. Mais le cadre juridique doit conduire à des changements en profondeur dans la stratégie, les modes de gestion ou l’activité, qui ne sont pas forcément immédiatement visibles », explique Alain Schnapper.

Un avis partagé par Stéphane Chevet, représentant CFDT au comité de mission du groupe La Poste. « C’est un véritable levier pour piloter autrement l’entreprise que par des indicateurs “business” », explique le militant. Avec une raison d’être centrée sur le développement économique et la cohésion des territoires, le groupe a revu toute une série d’indicateurs de performance, notamment en ce qui concerne les types de prêts accordés. « On vise des prêts qui ont du sens, qui participent à la transition écologique, ou des prêts sociaux comme le crédit immobilier à impact ».

La fin du timbre rouge (distribution à J + 1) est aussi liée aux engagements de l’entreprise consistant à atteindre la neutralité carbone. « Cela générait 60 000 tonnes de CO2 par an. Nous avons complètement revu notre schéma de distribution. »

Autres exemples : le groupe immobilier Redman, depuis son passage en société à mission, s’engage uniquement dans des constructions neuves bas carbone ou des réhabilitations. Camif a supprimé de son catalogue tout produit n’étant pas fabriqué en Europe. « Inscrite dans les statuts, la raison d’être permet un ancrage sur le long terme des engagements de l’entreprise, au-delà de la présence de tel ou tel dirigeant », précise Stéphane Chevet.

“Le comité de mission, ce nouvel organe de gouvernance, jouera un rôle déterminant dans l’évaluation de la stratégie”

Blanche Segrestin, enseignante-chercheuse à Mines Paris – PSL et pionnière du sujet en France.

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

Le dispositif d’entreprise à mission est évidemment critiquable : il se révèle encore trop timoré et nettement insuffisant lorsqu’il s’agit de répondre à l’urgent besoin de transformation de notre modèle économique. « Oui, le cadre est imparfait, il faut le faire évoluer – notamment en matière de contrôle des engagements des entreprises », reconnaît Alain Schnapper.

La place et la participation des salariés et de leurs représentants devront aussi être renforcées, comme le demande la CFDT. Car c’est là, entre autres, que le bât blesse : trop de salariés ignorent que leur entreprise est devenue à mission… ou alors ils le savent mais ne voient pas la différence. « Nous sommes encore dans le temps de l’apprentissage. Or si la loi est succincte, le potentiel est considérable. Le comité de mission, ce nouvel organe de gouvernance, jouera un rôle déterminant dans l’évaluation de la stratégie, estime Blanche Segrestin, enseignante-chercheuse à Mines Paris – PSL et pionnière du sujet en France. Toutes les potentialités n’ont pas encore été explorées, notamment pour les salariés. » C’est d’ailleurs ce à quoi elle travaille, à l’instar de la Communauté des entreprises à mission, en collaboration avec des universitaires, avocats et consultants. 

Groupe Bayard : Une boussole pour l’action syndicale

C’est un bel anniversaire : pour ses 150 ans, Bayard (groupe de presse et d’édition catholique) a adopté le statut d’entreprise à mission en janvier 2023. « C’est un signal fort pour consolider l’ambition sociale du groupe, qui existe de longue date », estime Véronique Badets, déléguée syndicale CFDT. Les objectifs de la raison d’être* vont être, pour elle et l’équipe CFDT, « autant de prises pour grimper plus haut. Ces objectifs vont nous servir à pousser l’entreprise à aligner ses actes sur ses paroles ». Véronique détaille : « Il est notamment prévu que les chartes éditoriales de chacun des titres intègrent désormais l’urgence écologique, ce qui n’est pas anodin. Aujourd’hui, en effet, sur cette dimension, tous ne sont pas au même niveau d’implication. Sur ce thème comme sur d’autres enjeux sociaux, nous espérons aller plus loin, embarquer plus de monde au-delà du cercle des convaincus. » Visiblement, une nouvelle dynamique est à l’œuvre, y compris en matière de dialogue social. « Être dans une entreprise à mission nous ouvre un espace de mobilisation important »… Que les élus CFDT comptent occuper, bien entendu !