Front syndical européen contre l’extrême droite

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iconeExtrait de l’hebdo n°3917

Le 16 avril, à quarante-six jours des élections européennes, des syndicats français, italien et allemand étaient réunis à Paris pour partager leurs expériences et afficher leur détermination à lutter contre l’extrême droite dans les entreprises et les administrations. Et appeler leurs adhérents et les citoyens à voter pour une Europe plus juste, sociale et démocratique.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 23/04/2024 à 12h00

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, et ses homologues européens lors d'un débat à la Bourse du travail.
Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, et ses homologues européens lors d'un débat à la Bourse du travail.© DR

La salle plénière de la Bourse du travail affichait complet. Plus de 300 participants ont assisté à la matinée de débat organisée par la Fondation Friedrich-Ebert, la CFDT et la Confédération européenne des syndicats (CES) : « Ensemble contre l’extrême droite ! ». Plusieurs centaines d’autres ont également pu suivre ces échanges en direct en vidéo. Au menu, deux tables rondes : « Combattre l’influence de l’extrême droite sur le lieu de travail » et « S’organiser et porter un projet alternatif face à l’extrême droite ».

Au côté de Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, on retrouvait Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’Unsa, mais aussi Yasmin Fahimi, la présidente de la confédération allemande des syndicats (DGB), Maurizio Landini, le secrétaire général de la confédération générale italienne du travail (CGIL), et Isabelle Schömann, secrétaire générale adjointe de la CES.

Pour les six leaders syndicaux, un seul et même message résumé par Marylise Léon : « Nous ne débattons pas avec l’extrême droite, nous la combattons. Nous n’aurons de cesse de démasquer son imposture sociale, son discours antisyndical, antitravailleur et antiféministe. Ensemble, nous passons à l’offensive pour défendre notre projet de justice sociale, fiscale et écologique. »

Une impérieuse nécessité, alors que les inquiétudes sont de plus en plus vives quant au score que pourrait réaliser l’extrême droite lors du scrutin européen du 9 juin prochain. Que ce soit en France, en Italie ou en Allemagne, trois des six pays membres fondateurs de l’Union européenne. Les derniers sondages la créditent de la première place en Italie (40 %) et en France (30 %), et de la deuxième en Allemagne (23 %). Selon certaines projections, elle pourrait rafler jusqu’à un cinquième des sièges au Parlement. Et en devenir ainsi un acteur incontournable. « Sa seule ambition n’est pourtant que de renforcer sa place au sein du Parlement européen pour le détruire de l’intérieur », rappelle Yasmin Fahimi.

Au Parlement européen, des votes contre le droit des femmes et des travailleurs

Pas besoin de chercher bien loin pour confirmer les propos de la numéro un du DGB. Il suffit de se tourner vers le Parlement européen et de regarder l’historique des votes de l’extrême droite sur les sujets sociaux et sociétaux. C’est simple, chaque fois qu’elle en a eu l’opportunité, l’extrême droite française a ainsi voté contre ou s’est abstenue : que ce soit pour la lutte contre les violences faites aux femmes, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, la mise en place d’un salaire minimum en Europe, la baisse des émissions de CO2 ou le soutien de l’Ukraine face à la Russie… « Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire et dans le monde, où l’extrême droite a été favorable à la liberté syndicale, à la négociation collective, aux droits des femmes… », témoigne Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT chargée de l’Europe et de l’international.

En Italie, l’extrême droite contre un salaire minimum

« Nous voyons concrètement ce que cela signifie d’avoir l’extrême droite au pouvoir. Le rôle des organisations syndicales est complétement ignoré, nous sommes parfois invités à de “fausses consultations”, et les travailleurs sont directement attaqués », explique Maurizio Landini, dont le pays est dirigé par la néofasciste Giorgia Meloni depuis octobre 2022. Concrètement, pour les travailleurs, cela s’est traduit par le rejet d’une proposition de loi visant à instaurer un salaire minimum de 9 euros brut par heure, en décembre dernier. Un uppercut envoyé en pleine face des 7 millions les plus précaires d’entre eux, percevant moins de 11 000 euros par an.

Le syndicaliste italien pointe également les dérives antidémocratiques de l’extrême droite, qui tente actuellement de modifier la Constitution italienne pour affaiblir le Parlement. Il rappelle également qu’en 2022 des militants d’extrême droite avaient pris d’assaut le siège de la CGIL et l’avaient saccagé.

En Allemagne, l’extrême droite veut expulser 2 millions d’étrangers

Outre-Rhin, c’est la révélation en janvier dernier du projet du parti néonazi Alternative pour l’Allemagne (AfD) de « déportation » de 2 millions de personnes, étrangères ou d’origine étrangère, qui a provoqué une onde de choc dans le pays. Depuis plusieurs mois, des millions de citoyens ont investi les rues pour dire leur rejet des idées nauséabondes de l’extrême droite. En première ligne de ces mobilisations, le DGB alerte sur les revendications antisociales que véhicule le parti, qui entend supprimer les conventions collectives, s’oppose au droit de grève, limite les normes sociales et environnementales, et remet en question le salaire minimum. « Rappeler qu’ils sont fascistes et autoritaires ne suffit plus pour convaincre les collègues, dont les repères sont bouleversés par plusieurs décennies de crises successives. Il faut parler de leur programme et des risques qu’encourent les travailleurs et l’économie du pays. » Un « Dexit », une sortie de l’UE de l’Allemagne, coûterait, a minima, 80 milliards d’euros par an, estime le DGB.

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Le patronat doit aussi prendre ses responsabilités face à l’extrême droite

« L’extrême droite veut un régime autoritaire, sans contre-pouvoir, c’est-à-dire sans syndicat. C’est l’exercice même de la démocratie au travail qui est menacé », alerte Marylise Léon. « L’AFD veut “dépolitiser” le monde du travail, en rappelant que le rôle des syndicats doit se limiter à l’entreprise », rebondit son homologue du DGB.

« Il faut revenir à ces débats dans l’entreprise, accompagner nos responsables par la formation. C’est dans les entreprises et les établissements qu’il faut aller parler aux travailleurs et leur expliquer en quoi voter pour l’extrême droite, c’est voter contre ses propres intérêts, c’est voter contre ses propres droits », insiste Marylise Léon, qui déplore par ailleurs l’ambivalence des organisations patronales sur le sujet. « Je regrette que les organisations syndicales ne soient pas claires sur ce qu’elles pensent de la montée de l’extrême droite. Les patrons, localement, voient les élus d’extrême droite comme des hommes et femmes politiques comme les autres. Ils s’en accommodent parfaitement. Je le regrette. »

Gagner la bataille culturelle

« Les organisations syndicales et la société civile, la CFDT et ses partenaires du Pacte du pouvoir de vivre en particulier, ont un rôle important d’éducation populaire à jouer », poursuit Béatrice Lestic.

« Nous devons regagner la bataille culturelle, insiste de son côté Maurizio Landini. « On ne naît pas solidaire, cela s’apprend, cela se construit. Ce n’est pas parce que mes parents étaient solidaires que je le suis, insiste Maurizio Landini. En Italie, 12,5 millions des voix sont allées à l’extrême droite, 15 millions à des forces progressives, mais dispersées. Surtout, ce sont 18 millions d’Italiens qui se sont abstenus. Cela montre qu’il n’y a pas de fatalité à l’extrême droite, à condition de convaincre. Nous devons, dans les entreprises et les administrations, expliquer les mensonges de l’extrême droite et présenter notre projet d’une société plus juste, plus égalitaire. » Ces revendications, la CGIL les a de nouveau faites entendre ce samedi 20 avril à l’occasion de nombreuses mobilisations à travers tout le pays. À Rome, à Turin ou à Naples, tous ont redit leur opposition.

C’est ce même message qu'a porté, en France, la CFDT Occitanie dans les rues de Béziers (Occitanie) le 23 avril, à l’occasion d’un rassemblement intersyndical contre l’extrême-droite (CFDT,CGT,UNSA, Solidaires, FSU). La ville, passée sous la coupe de l’extrême-droite en 2014, n’a pas été choisi au hasard. Son maire Robert Ménard en a fait un laboratoire à l’échelle locale. « Ici, on n’oublie pas les affiches « ils arrivent » dans les rues de Béziers mettant en scène des réfugiés s’apprêtant à prendre un train dont les vitres portaient l’inscription : Béziers 3865km. Scolarité gratuite, hébergements et allocations pour tous, rappelle Gérard Six, secrétaire régional de l’URI CFDT Occitanie. Nous continuons d’affirmer que l’extrême droite a un discours et un projet qui sont absolument contraires à ce que nous sommes et ce que nous faisons que ce soit au niveau local, national ou européen ».

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

Devant l'assemblée réunie ce 16 avril à la Bourse du Travail, la secrétaire générale adjointe de la CES Isabelle Schömann, a repris le manifeste de la CES et ses 12 propositions, publié en vue des élections. « Nous portons le projet d’une Europe où chacun est libre de vivre en paix et de travailler sans craindre la pauvreté, l’insécurité, le manque de respect, la discrimination, la violence, la guerre ou l’oppression : une Europe où il fait bon vivre, travailler, élever ses enfants, prendre soin de ses proches, prendre sa retraite et vieillir. Une Europe qui met en pratique le socle européen des droits sociaux. Une Europe qui protège les droits humains fondamentaux, y compris les droits reproductifs, et qui s’efforce de parvenir à l’égalité de genre. Pour défendre cette Europe plus juste, plus sociale, rejoignez-nous. Pour défendre cette Europe, allez voter ! »

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