[Enquête] Flex office, attention prudence ! abonné

Le flex office séduit de plus en plus d’entreprises, mais pas les salariés, qui vivent difficilement cette révolution du « sans bureau fixe ». Cet engouement patronal a des conséquences inquiétantes sur les conditions de travail. 

Par Emmanuelle PiratPublié le 13/11/2019 à 09h57

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En matière d’aménagement des espaces de travail, il y a des modes. Après les années open space, voici que le flex office ou flex desk (bureau flexible) arrive en force. Avec le flex, fini le bureau attitré, et bienvenue dans des espaces partagés, où le salarié s’installe en fonction des besoins de son activité.

Désormais nomade dans son entreprise, le salarié navigue (une fois ses affaires récupérées dans un casier) entre postes de travail en libre-service, salles de réunion s’il doit rejoindre son équipe, quiet room (salle de tranquillité) s’il doit se concentrer, « box téléphonique » s’il doit passer des coups de fil, etc. Un phénomène qui ne se limite pas aux start-up ou aux grandes entreprises désireuses de rajeunir leur image.

«Le flex se généralise à tous les secteurs, y compris dans la fonction publique», note Jérôme Chemin, délégué syndical central CFDT chez Accenture. Et c’est là qu’on pressent un premier hic : «Le flex a été conçu pour une population de consultants, qui est la majeure partie du temps chez le client, et qui ne vient donc que ponctuellement au bureau. Le problème, c’est qu’aujourd’hui on veut faire passer tout le monde au flex, même les fonctions support», alerte le syndicaliste. Imaginez un DRH à la recherche d’un bureau pour faire passer des entretiens de recrutement ou un comptable, avec toutes les informations confidentielles qu’il détient, s’installer sur un plateau au milieu de 20 personnes !

Chez Orano (ex-Areva), les militants CFDT accueillent d’ailleurs avec méfiance le projet de déménagement annoncé par la direction. «Pour nos métiers d’ingénierie nucléaire, nos contraintes et besoins d’organisation du travail ne s’accommodent pas du flex. Nous craignons un effet de mode, souligne Emmanuel Gaubert, délégué syndical, qui souhaite que le dialogue avec la direction permette d’éviter les travers d’une telle organisation. 

On nous dit que ce mode de travail sera plus moderne et plus convivial. Mais rien ne le démontre.» Car, bien entendu, le flex est « vendu » par les aménageurs, comme par les directions, avec toute une novlangue vantant des espaces de travail censés décloisonner, faciliter les échanges, « stimuler la créativité », etc., « alors qu’il est avant tout motivé par un objectif financier de réduction des mètres carrés », recadre Jérôme Chemin.

Lutte des places

Partant du constat que les bureaux ne sont jamais tous occupés (les taux d’occupation sont généralement de 70% selon les services), les entreprises s’affranchissent du ratio un bureau pour un salarié. D’autant plus que le passage au flexs’accompagne toujours d’une incitation au télétravail ou au travail à distance dans des tiers lieux. Résultat ? «Il arrive que certains matins, des salariés soient obligés de repartir chez eux parce qu’ils ne trouvent pas de place disponible», raconte Laurent Bandelier, délégué syndical central CFDT d’Orange, qui a consacré un mémoire à la question (Orange a déjà organisé son site de la Défense en flex et projette de le mettre en place dans les 22 projets immobiliers en cours).

Le flex entraîne une précarisation de la personnalité par manque de repères


«En région parisienne, les gens ont déjà le stress des transports. S’il faut ajouter le stress de trouver une place en arrivant au travail, cela fait beaucoup.» Plus grave encore, le fait d’être SBF (sans bureau fixe) provoque chez les salariés un sentiment d’insécurité très préjudiciable. « La stabilité d’un individu se construit par des habitudes, un système de référence. S’il faut tout reconstruire tous les jours, c’est extrêmement dangereux pour l’équilibre. Le flex entraîne une précarisation de la personnalité par manque de repères », dénonce Sylvaine Perragin, psychothérapeute et consultante1.

De nombreux autres experts alertent d’ailleurs sur la déstabilisation et la déshumanisation à l’œuvre dans l’instauration du flex : dispersion des équipes et appauvrissement de la communication (il faut s’envoyer des mails pour se retrouver, collègues ne se parlant plus que par messagerie), isolement des salariés, sentiment d’être interchangeable…

« On a sous-estimé l’attachement du salarié à son bureau, que l’on a présenté comme une valeur rétrograde, ringarde. Alors que c’est au fond un élément de…

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