[Dossier Burn-out] La mécanique infernale abonné

Soignants, profs, magistrats, journalistes, cadres du privé, du public ou du secteur associatif mais aussi boulangers, cuisiniers, agriculteurs… Le burn-out touche tous les secteurs, tous les niveaux hiérarchiques et tous les âges. Les histoires de personnes qui ont connu cette descente aux enfers sont toutes singulières mais relèvent toutes d’un même enchaînement de facteurs et de symptômes. Un engrenage qui peut mener à l’internement psychiatrique ou, dans le pire des cas, au suicide.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 27/02/2020 à 08h29

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« Mon corps a lâché. » Un « blanc ». Un « crash ». Un « bug dans mon corps et mon cerveau ». Un « pétage de plombs », un « effondrement », etc. Toutes les histoires de burn-out racontent ce moment fatal où le corps a craqué. Où la personne subit « une décompensation somatique majeure », comme le disent les psys. Sous bien des formes : évanouissement, malaise cardiaque, crise de tétanie, etc. « Comme un barrage qui aurait résisté à la pression trop longtemps. Un jour, il cède », explique Anne Everard, ancienne juriste qui a connu un burn-out fin 2013, auteure du Guide du burn-out1 .

Pourtant, ce moment « où le corps vous sert l’addition » n’arrive pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il y a toujours des signes avant-coureurs, quand le corps commence à renâcler face à un rythme infernal ou une pression folle. Douleurs, éruptions cutanées, perte d’appétit, du sommeil, perte d’intérêt pour son travail et aussi changements d’humeur, quand la personne devient colérique, cynique ou s’isole.

Mais le propre des personnes « burn-outées », c’est de tenir souvent longtemps dans le déni de ce qui leur arrive. « Je me levais tous les matins à 4 heures. Je car­burais au café et aux somnifères. Cela a entraîné le réveil de deux maladies auto-immunes inflammatoires. Mon corps me hurlait “stop” mais je ne voulais pas l’entendre », raconte Sidonie, 42 ans, qui a commencé une brillante carrière en cabinet ministériel avant d’être recrutée par un géant de la grande distribution, où elle a fait un burn-out il y a deux ans. « La suractivité crée un état inflammatoire dans le corps et le cerveau, car le niveau de cortisol, l’hormone du stress, ne redescend jamais suffisamment. On ne prend plus le temps de la récupération, car on ne débranche jamais », précise Anne Everard.


« Le burn-out, c’est la maladie du “trop” et du “pas juste”. Ce n’est pas seulement parce qu’on travaille trop mais parce qu’à un moment cela n’a plus de sens », explique Anne Everard. Le terreau du burn-out, c’est l’alliance mortifère entre le trop (de pression, de travail, de fatigue…) et un élément qui va faire dérailler la machine : un changement de chef, de règles managériales ou d’objectifs, un conflit éthique avec ce qui est demandé, un manque de reconnaissance par rapport à l’investissement produit…

L’implication forte, souvent affective, de la personne vis-à-vis de son travail se retrouve vide de sens. Pour Stéphanie, depuis dix ans au service achats d’une grosse société d’ingénierie, qui pourtant adorait son job et son entreprise, il y a d’abord eu cette réorganisation interne des missions et des services intervenue pendant son congé parental. « À mon retour, je n’ai pas reconnu mon entreprise. » Et puis il y a eu le « projet de trop » : une mission impossible sur un projet à l’étranger, avec des mails incompréhensibles et des injonctions contradictoires. Elle a pourtant averti sa hiérarchie, les ressources humaines, la médecine du travail. En vain. Pour seule réponse, on lui dit : mais si, tu vas y arriver. « Mais mon travail n’avait plus aucun sens. J’ai décidé de partir, pour sauver ma peau. »

Tenir, coûte que coûte

Tous les témoignages font état de cette course au « tenir bon ». Par peur de perdre son emploi, de…

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