Chez Faurecia, le passage à l’hydrogène tend le climat social

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iconeExtrait de l’hebdo n°3871

L’annonce de la fin des moteurs thermiques en 2035 bouscule l’ensemble de la filière auto. Chez Forvia Faurecia Systèmes d’Échappement (FSE), spécialiste des systèmes d’échappements moteur, la direction mise sur l’hydrogène. La CFDT souhaite que la conduite du changement associe les salariés et leurs représentants, notamment pour définir un plan d’accompagnement des transitions professionnelles.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 25/04/2023 à 12h00 et mis à jour le 25/04/2023 à 12h05

De gauche à droite : Jean-François Aulin, élu CSE du site de Messei (Orne) ; Mohamed El Kinani, délégué syndical ; Jean-Luc Scanavin, élu CSE ; Annick Antoni, élue CSE ; Franck Robillard, délégué syndical central de FSE, qui travaille à Messei.
De gauche à droite : Jean-François Aulin, élu CSE du site de Messei (Orne) ; Mohamed El Kinani, délégué syndical ; Jean-Luc Scanavin, élu CSE ; Annick Antoni, élue CSE ; Franck Robillard, délégué syndical central de FSE, qui travaille à Messei.© DR

Pour une entreprise telle que Forvia (ex-Faurecia), équipementier automobile qui emploie 1 400 salariés en France, la fin des moteurs thermiques implique forcément une remise en question majeure. D’ailleurs, dès 2019, la direction a décidé de miser sur l’hydrogène – ou plus exactement sur le dihydrogène (H2), présenté comme la molécule qui va révolutionner le monde énergétique de demain. Elle a choisi de faire de son site de Bavans (Doubs/Bourgogne-Franche-Comté, 864 salariés), jusqu’alors spécialisé dans la R&D, son site pilote en matière d’hydrogène. Notamment pour y construire les prototypes de réservoirs à hydrogène destinés à équiper des véhicules commerciaux et des véhicules lourds. Une fois homologués, ces réservoirs sont fabriqués dans la toute récente usine d’Allenjoie, proche de Montbéliard (250 salariés).

Marcher à l’aveugle

« Nous sommes conscients qu’il fallait trouver une suite à l’échappement et nous tourner vers de nouvelles technologies. Le problème n’est pas là. Il est plutôt dans la manière dont la direction mène les affaires », résume Jean-Luc Scanavin, technicien de conception de banc d’essai, élu au CSE et au CSE central, très remonté contre une direction « qui ignore les organisations syndicales et s’assoie sur le dialogue social »1. Au moment des annonces de 2019 concernant le tournant vers l’hydrogène, la CFDT avait affirmé son soutien au projet. « Il n’y avait alors pas eu de débat : la CFDT est en faveur de la transition écologique, et nous avons toujours dit que nous souhaitions l’accompagner. Nous étions d’ailleurs confiants, au départ », explique Mohamed El Kinani, délégué syndical et technicien d’essai aux bancs moteurs : « Nous le sommes un peu moins aujourd’hui. Pour entamer une telle transition industrielle, il faut fixer un cap, définir une stratégie, remplir une feuille de route. Nous avons au contraire l’impression de marcher à l’aveugle. Il ne suffit pas de dire que l’on part sur l’hydrogène, il faut savoir où on va ! »

Des revirements dans les choix industriels

Ses réticences, qu’il partage largement avec le reste de l’équipe CFDT, sont consécutives aux multiples revirements industriels auxquels les salariés des sites ont été confrontés ces dernières années. « Avant la crise Covid, on nous avait dit que l’avenir, c’était l’activité camion. Résultat, on est en train de se séparer de cette branche d’activité. Ensuite, on nous a dit : “On met le paquet sur la préparation de la norme européenne d’émission Euro 7”, censée être très sévère. On avait beaucoup innové pour préparer cette norme, en matière de systèmes de dépollution plus efficaces ; cette norme s’est finalement avérée beaucoup plus souple, du fait de la pression des lobbys. Ça a fait pschitt, et une bonne partie du développement est passée à la poubelle. Et, maintenant, on nous dit que l’avenir, c’est l’hydrogène, alors qu’il y a des tas d’interrogations autour de la technologie, de son utilisation, des besoins des marchés, etc. », s’énerve Jean-Luc. De fait, l’hydrogène est une technologie peu mature ; il est extrêmement cher à produire, complexe à stocker et à transporter, notamment parce que la molécule, infiniment petite, se fraye un passage dans les moindres interstices et qu’elle est inflammable.

Tout réapprendre en repartant de zéro

Les interrogations des militants portent également sur les aspects financiers de cette transition. « Passer à l’hydrogène nécessite des investissements colossaux. Or l’entreprise est aujourd’hui très endettée », note Erol Simsek, secrétaire du comité européen, qui travaille sur le site de Bavans en tant que coordinateur HSE1 du pôle hydrogène. Forvia s’est en effet lourdement endetté pour acquérir l’allemand Hella.

Enfin, c’est sur le volet des transitions professionnelles que l’équipe CFDT souhaiterait des éclaircissements et la garantie d’un plan d’accompagnement. « Mais, là encore, nous sommes dans le flou total. On nous avait parlé d’une école de l’hydrogène censée former les personnels. La direction a dû communiquer une ou deux fois dessus, et puis plus rien », dénonce Annick Antoni, élue au CSE et représentant syndical au CSE central, par ailleurs ingénieur au laboratoire de Bavans. Or les métiers liés à l’échappement et ceux liés à l’hydrogène n’ont rien à voir. « Ce n’est pas juste une adaptation à la marge. Il faut oublier tous nos repères et tout réapprendre, repartir de zéro. Cela s’accompagne pour certains salariés d’une impression de déclassement de leur expertise », souligne Annick. Ce qui n’aide pas les salariés à vouloir se reconvertir et, au contraire, provoque des résistances.

“Ou tu chômes ou tu vas au H2”

À cela s’ajoute une énième difficulté : d’ici à l’été, la direction a annoncé vouloir créer une nouvelle entité juridique dédiée à l’activité hydrogène. Elle a donc demandé aux salariés de se prononcer : soit être muté dans la nouvelle entité, et donc « passer à 100 % à l’hydrogène », soit rester dans l’activité échappement, sachant qu’elle est sur le déclin, avec déjà des périodes de chômage technique imposées aux personnels. Un dilemme proprement cornélien. « Nous sommes parfois interpellés par les salariés sur le choix à faire. Ils ne savent pas trop, hésitent à franchir le pas. Mais comment les conseiller ? », reconnaît Mohamed. Dans ce climat d’incertitude, « nous avons beaucoup de démissions, y compris de salariés qui travaillent sur l’hydrogène », souligne Annick.

On le voit, la réussite du processus de transition nécessite un dialogue social de qualité, et de la confiance entre les acteurs. L’enjeu est absolument colossal. Et, pour cela, la CFDT revendique une place d’acteur de référence, pas un strapontin. Il est temps que la direction de FSE l’entende.