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Extrait de l’hebdo n°3936
Pour son premier budget, Michel Barnier souhaite frapper fort. Il se fixe un objectif de 60 milliards d’euros d’économie tout en assurant vouloir donner aux députés des marges de manœuvre sur la manière d’y parvenir. Le tour de vis s’annonce sévère. Encore faut-il qu’il soit juste.
Les économies budgétaires doivent être à la hauteur du dérapage des finances publiques. À peine nommé Premier ministre, Michel Barnier n’a cessé de décliner ce message aux Français. Avec un déficit public avoisinant les 6 % du PIB pour 2024 (et qui devrait les dépasser en 2025) et une dette atteignant désormais 112 % du PIB, il est nécessaire d’agir vite et fort pour ne pas laisser le pays s’enfermer dans une spirale infernale. Le risque est qu’à court et moyen terme, la charge de la dette (le coût des intérêts) ne cesse d’augmenter et finisse par devenir incontrôlable, à l’image de ce que vit l’Italie. La charge de la dette est telle que les gouvernements successifs n’ont guère eu de marge de manœuvre afin de mettre en œuvre leurs politiques publiques.
Cette nécessité de redresser la barre des finances publiques fait relativement consensus en France. Ce qui le fait beaucoup moins, en revanche, c’est la manière d’y arriver. Pour la CFDT, il est hors de question que les efforts demandés frappent de manière indifférenciée les Français ou fragilisent notre système de protection sociale, qui doit pouvoir continuer à couvrir les risques de la vie et à venir en aide aux populations fragiles. Trouver cet équilibre entre économie et justice, c’est bien tout l’enjeu du budget de Michel Barnier, lequel doit être présenté le 10 octobre, puis débattu à l’Assemblée les jours suivants (le 11 en commission, puis autour du 20 octobre dans l’hémicycle). Pour l’instant, le Premier ministre multiplie les annonces en se gardant d’être trop précis – tout en assurant aux députés qu’ils auront des marges de manœuvre pour amender le projet de loi de finances.
Les grandes lignes du projet de loi de finances (PLF) sont à présent connues : le gouvernement souhaite réaliser 60 milliards d’euros d’économie, 40 milliards en fournissant des efforts sur les dépenses et 20 milliards à travers des hausses d’impôts. Autant le volet hausse d’impôts semble peu polémique car il se concentre sur les ménages aisés et les grandes entreprises, autant le volet dépenses semble beaucoup plus problématique.
Gel de la revalorisation des pensions, une mesure injuste
La première piste d’économie très concrète a été l’annonce du report de six mois de la revalorisation des pensions de retraite pour « économiser autour de trois milliards ». Une mesure brutale puisqu’elle ne fait aucune distinction entre les ménages. « Cette mesure est profondément injuste, notamment pour les deux millions de retraités qui vivent en dessous du seuil de pauvreté », a immédiatement alerté Marylise Léon dans les médias, en rappelant que la CFDT veillera à ce que les économies soient impérativement guidées par un principe de justice sociale. « La hausse prévisible des pensions au 1er janvier aurait dû être entre 2,2 et 2,4 %. Or le gouvernement annonce une augmentation de 1,8 % au 1er juillet, soit une perte de plus de 1 % de pouvoir d’achat des retraités en 2025 », ajoute la CFDT Retraités, particulièrement échaudée que les retraités soient une nouvelle fois désignés comme étant des privilégiés alors qu’ils ont perdu du pouvoir d’achat ces dernières années.
Une autre piste d’économies importantes annoncée par le Premier ministre se trouverait du côté des entreprises. Le gouvernement souhaite revenir sur les exonérations de charges sur les bas salaires et les aides à l’apprentissage. Sur les 80 milliards d’allègements de charges actuels, l’exécutif souhaite économiser 4 milliards. Dans le même temps, il compte redéployer ces aides. Dans cette perspective, le gouvernement peut s’appuyer sur les travaux des économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer, qui ont rendu leur rapport la semaine dernière. Là encore, la CFDT se montrera particulièrement vigilante aux éventuels effets impactant les petits salaires d’une mesure relative aux allègements de charges.
L’apprentissage dans le viseur
Concernant l’apprentissage, la problématique est sensiblement identique. Il y a un consensus plutôt large pour dire qu’il y a eu des effets d’aubaine qu’il faut corriger et qu’il est sans doute possible de faire des économies. Cependant, il faut veiller à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et risquer d’enrayer une belle dynamique. Dans une interview à La Tribune Dimanche, le Premier ministre a été très clair : « L’apprentissage est une belle réussite. Mais cela a pu créer des effets d’aubaine coûteux. Faut-il baisser l’aide forfaitairement, limiter le dispositif en fonction du niveau de diplôme ? », s’interroge-t-il, en rappelant que le coût des aides publiques à l’apprentissage est estimé à environ 15 milliards d’euros.
De manière plus classique, les économies vont également passer par une réduction des budgets des ministères. Difficile à l’heure où nous bouclons d’y voir clair à ce sujet, d’autant plus que le gouvernement actuel va devoir s’appuyer, dans un premier temps, sur le travail effectué par ses prédécesseurs, quitte à modifier les arbitrages au cours de la discussion à l’Assemblée. Tout juste sait-on que le ministère du Travail risque d’être mis fortement à contribution, au prétexte des « bons chiffres » du chômage. Le gouvernement annonce également des suppressions d’emplois dans la fonction publique, non sans une forme de démagogie facile. « Le problème de l’école, de l’hôpital, de la prison, de la petite enfance, de la recherche, de l’université, de la culture, des Sdis, des services d’état civil… ce serait la “bureaucratie” », ironise Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, qui dénonce les propos tenus par l’exécutif ces derniers jours.
Enfin, du côté de la Sécurité sociale, le gouvernement promet également des mesures difficiles, sans donner davantage de détails. Les pistes d’économie à l’étude sont connues : un moindre remboursement des médicaments, du transport sanitaire ou l’instauration d’un nouveau jour de carence. Tous ces sujets sensibles risquent fort d’animer les débats à l’Assemblée. Le Premier ministre, de son côté, n’exclut pas de faire adopter le budget par article 49.3 si les députés ne parviennent pas à s’entendre…