Victorieuse sur tous les fronts

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iconeExtrait de l’hebdo n°3883

Dans le Morbihan, les militantes et militants de la section de l’association d’aide à domicile en milieu rural (ADMR) enchaînent les victoires. Le 5 janvier, ils obtenaient la reconnaissance de l’existence d’une unité économique et sociale (UES) liant la fédération départementale et les 50 associations locales. Le 20 juin, ils remportaient largement les élections professionnelles. Et ils n’entendent pas s’arrêter en si bon chemin.

Par Guillaume Lefèvre— Publié le 18/07/2023 à 12h00

De gauche à droite : Fabienne Dubos, Didier Lestang et Véronique Dheurle.
De gauche à droite : Fabienne Dubos, Didier Lestang et Véronique Dheurle.© Stéphane Vaquero

« Nous avons tout à construire, résume Fabienne Dubos, aide à domicile, élue CSE, déléguée syndicale et adhérente CFDT depuis cinq ans. Nous sommes face à une page blanche. » Il faut dire que, ces derniers mois, la CFDT a radicalement fait évoluer le dialogue social au sein de l’ADMR 56, une structure qui accompagne au quotidien 11 475 personnes sur le territoire morbihannais. Pour relever les nombreux défis qui se présentent, l’équipe peut s’appuyer sur sa légitimité acquise dans les urnes lors des premières élections au sein de l’ADMR 56 « nouvelle version ». Face à la CGT, elle a récolté 76,67 % des suffrages – le fruit de plusieurs années de labeur. Seule ombre au tableau, la faible participation parmi les 1 300 salariés, puisque seulement un sur cinq s’est exprimé.

De nombreux obstacles à surmonter

Une direction qui ne joue pas le jeu de l’information et de la communication, des codes qui n’arrivent pas à leurs destinataires, la peur… « Cela a été compliqué, c’est le moins que l’on puisse dire », précise Véronique Dheurle, secrétaire générale du Syndicat Santé-Sociaux du Morbihan. Sans même parler de la méconnaissance des enjeux par les salariés. « Je suis perturbée par l’abstention. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous devons agir. Nous continuerons à aller au quotidien au-devant des collègues ; beaucoup ignorent ce que nous faisons et ce que nous pouvons apporter », explique Ginette Brillant, assistante de vie aux familles, élue au CSE.

Il en faut toutefois plus pour décourager l’équipe CFDT, qui voit plutôt là un défi à relever… lors des prochaines élections professionnelles. En effet, le moral est au beau fixe, et la section a enregistré seize nouvelles adhésions depuis le début de l’année, soit une hausse de 15 %. Elle compte désormais 60 adhérents. Pas question de bouder son plaisir, donc. Mais pour comprendre les tenants et aboutissants de cette victoire, un petit retour en arrière s’impose.

Deux ans de procédure judiciaire

Le 5 janvier 2023, la cour d’appel de Rennes reconnaissait le lien entre la fédération ADMR 56 et les associations locales et confirmait l’existence d’une unité économique et sociale (UES). Cette décision n’a rien d’anodin. Le code du travail précise qu’une UES « est le regroupement en une unité de plusieurs entreprises juridiquement distinctes présentant des liens étroits : activités communes ou complémentaires, unité de direction, communauté de travailleurs ayant des intérêts communs. La reconnaissance d’une UES intervient par accord ou décision de justice et conduit à la mise en place d’une instance représentative du personnel commune ». Ce verdict, obtenu grâce à la ténacité des militants Santé-Sociaux du Morbihan, offre de nouvelles perspectives de dialogue social au sein de l’ADMR 56.

En effet, jusque-là, les cinquante associations locales – comptant au total 1 300 salariés – étaient considérées comme autonomes, avec des instances du personnel distinctes, voire une absence d’instance puisque seulement 12 des 50 associations étaient pourvues d’un comité social et économique. La fédération, qui refusait de reconnaître ses liens avec les diverses associations, établissait les contrats de travail, organisait le parc autos ; elle était également garante de la permutabilité – « c’est-à-dire qu’elle organisait le passage d’un salarié d’une structure à une autre en cas de besoin », détaille Véronique. « Surtout, selon leur structure d’appartenance, les salariés n’avaient ni les mêmes droits ni les mêmes avantages », rappelle Fabienne. Selon la CFDT, les liens entre fédération et associations locales relèvent de l’évidence. « Cela fait des années qu’on demande que cette reconnaissance soit établie, explique Didier Lestang, ancien secrétaire général du Syndicat Santé-Sociaux 56. Alors on a commencé par collecter les pièces une à une pour étayer nos dires… »

La collecte de preuves, un travail de fourmi

Un vrai travail de fourmi va durer plus de deux ans. En juin 2021, la CFDT demande l’ouverture d’une négociation en vue de mettre en place cette fameuse UES. Elle fait face au refus de tout dialogue et finit par porter l’affaire devant la justice et le tribunal judiciaire de Vannes, trois mois plus tard. L’équipe trouve avec la pandémie de quoi enrichir et appuyer ses dires. « C’est le président de la fédération qui signait chacun des documents », précise Didier.

« Dans le cadre de la crise sanitaire, la fédération a informé les salariés des associations qu’à défaut de justification d’une vaccination anti-coronavirus, elle serait contrainte de suspendre le contrat de travail, rappelle la cour d’appel de Rennes dans sa décision. Sur la politique salariale, le président de la fédération a adressé directement à l’ensemble des salariés des associations ADMR un courrier individuel les informant qu’à compter du 1er octobre 2021 une nouvelle grille de classification des emplois et système de rémunération serait applicable. » Des pièces à conviction, il y en avait donc ! Il aura aussi fallu convaincre les salariés que cette action n’allait pas mettre en péril l’association, ce que laissait entendre le discours de désinformation auquel on peut s’attendre dans ce genre de situation. « L’idée que nous voulions la mort de l’association circulait, raconte Fabienne. Évidemment, ce n’est pas du tout notre intention. Nous voulions simplement que le code du travail soit respecté ! »

« La bataille fut longue mais nous sommes heureux d’avoir obtenu gain de cause, exulte Myriam Evenou, aide à domicile dans le secteur de Séné et adhérente CFDT depuis plus de onze ans. Bien entendu, nous savons qu’il y a encore beaucoup à faire. » « C’est la victoire d’une vie, savoure Didier, qui n’a compté ni ses heures ni son énergie dans la collecte des éléments à charge. Maintenant, nous allons agir pour les salariés, faire respecter et améliorer leurs droits. » « Si notre combat peut servir dans d’autres territoires… », ajoute Véronique.

Et maintenant, les conditions de vie au travail

À propos de l'auteur

Guillaume Lefèvre
Journaliste

Date de versement des salaires, amplitude horaire, attribution et retrait des voitures de services, chèque vacances, astreinte ou encore CDD à l’embauche… : la liste des sujets qui attendent l’équipe est longue. « Quand on entre à l’ADMR, il y a systématiquement six mois de CDD. Ça n’est rien d’autre qu’une période d’essai ! », dénonce Didier. « Les astreintes ne sont pas cadrées ni régulées », poursuit Fabienne. Bref, il y a du pain sur la planche « Mais nous allons veiller à ne pas aller sur tous les fronts en même temps, au risque de nous épuiser », rassure Didier.