Extrait du magazine n°516
Le management a désormais son musée. Situé au sein de l’Université Paris Dauphine -PSL, ce lieu original permet d’appréhender la notion de management à travers les âges et de penser son évolution. Rencontre avec l’un des fondateurs, David Albert, professeur en management de l'innovation à l'unviersité Paris Dauphine - PSL.

Comment est née l’idée de créer un musée du management 1?
C’est une émanation du Cercle de l’innovation, une plateforme collaborative entre université et entreprises que j’ai créée en 2013 à Paris Dauphine. L’idée nous est venue quand nous nous sommes rendu compte que peu de gens savaient ce qu’était réellement le management, et ce qu’est son histoire. Le musée* revient sur les origines du management, de ses méthodes et les nombreux inventeurs et inventrices qui jalonnent son histoire depuisla fin du 19e siècle. Comme tout musée, il répond à une ambition pédagogique et émancipatrice car, dans tous les domaines, connaître l’histoire rend plus libre. Sa troisième fonction est de favoriser l’esprit d’amélioration ou d’invention : face aux défis d’aujourd’hui, un musée du management peut contribuer à créer le management de demain.
Le mot management a plusieurs origines. Quelle est celle qui domine aujourd’hui ?
Elle est proche de celle apparue aux États-Unis à la fin du xixe siècle et au début du xxeavec [Frederick Winslow] Taylor et ses expériences de « recherche systématique d’efficacité ». Tout est dit ! Taylor et ses collaborateurs s’étaient baptisés « ingénieurs en efficacité ». Le management contemporain tient encore majoritairement de ce régime-là. L’efficacité est une certaine définition de la performance, laquelle consiste à allouer le moins de ressources possibles pour obtenir le plus de résultats possibles. La méthode d’organisation scientifique du travail définie par Taylor cherche à déterminer la meilleure façon d’effectuer une tâche afin que les ouvriers ménagent leurs efforts tout en produisant plus. Étymologiquement, le mot combine trois sens : ménager, dresser (maneggiare, en italien, faire tourner des chevaux dans un manège pour les dresser) et mana, la main… qui dirige, qui donne à faire. Toutes ces significations se télescopent dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui
Manager, est-ce un métier ?
Une fiche de poste intitulée « manager » n’existait pas avant Taylor. Il n’y avait que des ingénieurs dont on attendait une technicité, une expérience. Le management suppose encore de maîtriser des techniques mais, en principe, il faut y associer les valeurs qui vont avec. Il ne faudrait pas séparer les techniques et les soft skills, comme c’est souvent le cas. Cela dit, dans certaines écoles, on a fabriqué des élites peut-être un peu trop sûres d’elles, qui pèchent par excès de confiance : on a valorisé le manager brillant techniquement sans tenir compte de ses plus ou moins bonnes qualités relationnelles. Or, comme le disait déjà Henri Fayol en 1916 (ingénieur et chef d’entreprise français), il vaut mieux des chefs de moyen talent qui restent, plutôt que des chefs brillants qui ne font que passer. Il avait raison car un manager qui reste a le temps de connaître ses collaborateurs et de devenir bon.
Que manque-t-il dans la formation des élites, selon vous ?
Le management ne s’apprend pas entièrement à l’école. En 2005, le chercheur canadien Henry Mintzberg a fortement critiqué les MBA et l’enseignement des business schools, considérant qu’ils étaient inadaptés, que les étudiants étaient trop jeunes, n’avaient jamais été en responsabilité et suivaient des formations trop abstraites, en inadéquation avec les défis sociétaux et environnementaux.
La formation des managersdoit intégrer une forte proportion de compagnonnage permettant aux futurs encadrants de vivre le fait qu’il n’y a « rien de plus pratique qu’une bonne théorie » (selon la formule du psychologue des années 30, Kurt Lewin), et doit combiner dans l’action savoirs techniques et humanité.