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Système de santé : la lente agonie

Porte d’entrée de l’hôpital, les urgences concentrent tous les maux de notre système de santé. Elles sont la face la plus visible d’un dysfonctionnement généralisé. Reportage dans les établissements de Bourges et Vierzon.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 03/03/2023 à 10h00

Service des urgences, Vierzon
Service des urgences, Vierzon© Joseph Melin

C’est une journée plutôt ordinaire aux urgences du centre hospitalier de Vierzon (Cher). Une bonne dizaine de personnes patientent sur des brancards dans les couloirs. Pour certains, il s’agit d’être pris en charge par un soignant. Les autres ont déjà vu un médecin et sont en attente d’une solution, par exemple une place dans un service ou bien un transfert vers un centre de soins. « Le service est plein aujourd’hui, mais c’est encore gérable, on a vu pire… modère Sébastien Matton, cadre de santé. Les urgences de Vierzon, c’est 22 000 passages par an, pour une population municipale de 25 000 habitants. »

L’attente dans les couloirs pose de nombreux problèmes, notamment de promiscuité, de confidentialité…

« Si les services de médecine sont saturés, nous sommes les premiers impactés, ajoute Sébastien. On ne maîtrise pas notre flux et nous sommes tributaires des disponibilités. Certains patients peuvent attendre trois jours, c’est déjà arrivé. » L’attente dans les couloirs pose de nombreux problèmes, notamment de promiscuité, de confidentialité… Les patients mangent et font leurs besoins les uns à côté des autres.

Une situation qui fait bondir le docteur Saleh Rahal : « Les patients ont besoin d’être pris en charge dans l’intimité. Aux urgences, leur dignité est mise à l’épreuve. Nous sommes un service où l’on ne reste pas. Quand les patients restent un jour ou trois, ça ne va pas ! »

Manque de lits, manque de personnels

Le personnel court en tous sens. Dans le bureau des soignants, Cloé, aide-soignante depuis quatre ans aux urgences de Vierzon, est derrière son ordinateur : « C’est un travail qui me plaît. La charge de travail est intense. » Mais elle déplore le manque de main-d’œuvre : « Il n’y a qu’une seule aide-soignante pour tout le service, ce n’est pas normal. Je suis seule pour dix-huit patients installés, et huit sont en attente. Depuis quelques mois, on se bat pour avoir un poste de journée. »

Entre deux patients, Sylvie, infirmière à l’accueil des urgences, passe une tête par le bureau. Elle, ça fait une dizaine d’années qu’elle est ici : « Je constate de plus en plus de passages qui auraient dû être pris en charge par la médecine de ville. On manque de lits et de personnels. » Malgré son énergie, Sylvie ne pense pas finir sa carrière ici. « J’aime mon travail mais, certains jours, du fait de l’activité et de la non-reconnaissance, je me demande pourquoi je viens travailler. » Que pensent les patients de cette situation, de la prise en charge dégradée ? « Ils ne se plaignent pas, ils sont tellement contents d’avoir pu voir quelqu’un. »

“La médecine de ville s’est effondrée et la population est vieillissante”

Docteur François Bandaly

Le docteur François Bandaly passe lui aussi par le bureau des soignants. Il est aux urgences de Vierzon depuis 1988. «En trente-cinq ans, le service a complètement changé, l’activité a explosé.» Il en assure désormais la direction, en tant que chef du pôle urgences/Smur.

Les problèmes rencontrés par les urgences sont liés à de nombreux facteurs, et les difficultés se cristallisent ici : «La médecine de ville s’est effondrée et la population est vieillissante, explique-t-il. Ensuite, en aval des urgences, on manque de lits dans les services de médecine des hôpitaux, et on manque de places dans les services de soins de suite et de réadaptation, dans les Ehpad, et les soins à domicile ne suivent pas. Donc les patients instables, qui ne peuvent pas rentrer chez eux, restent aux urgences en attendant qu’une solution soit trouvée. Notre service n’est pas dimensionné pour ça, les infirmiers doivent aussi les prendre en charge et le flux est bloqué.» S’ajoutent à cela les problèmes de recrutement et d’attractivité des métiers : «Il faut augmenter les salaires», assène le chef des urgences.

“On reste calmes, on prend sur nous. Les patients n’y sont pour rien. J’essaye de faire au mieux. ”

Thibaud, infirmier.

À une quarantaine de kilomètres de là, les urgences de l’hôpital Jacques Cœur de Bourges sont aussi dans un triste état. L’engorgement, en cette fin de matinée du début février, est tel qu’il ne reste presque plus de places pour un nouveau brancard dans les couloirs. Lorsqu’un patient est déplacé, les aides-soignantes jouent à un curieux jeu de Tetris® pour caler un autre brancard, et laisser un passage de circulation libre.

Les patients sont les uns à côté des autres, en chemise d’hôpital, un sac en plastique contenant leurs effets personnels accroché à leur brancard ou la chaise à laquelle ils ont été assignés. Une dame craque, se met à pleurer : « Ça fait trop longtemps que j’attends, j’ai pas mangé, j’en peux plus. » Un soignant lui répond : « Il faut encore attendre d’avoir passé l’IRM pour que l’on puisse vous donner à manger. » Thibaud, infirmier, relativise, alors que les conditions d’exercice peuvent provoquer de la maltraitance : « On reste calmes, on prend sur nous. Les patients n’y sont pour rien. J’essaye de faire au mieux. »

À la fin de 2022, la durée entre l’entrée et la sortie des urgences était de vingt-cinq heures. Une situation notamment due aux multiples épidémies : Covid, bronchiolite, grippe, gastro. Comme à Vierzon, les difficultés sont multiples, et les solutions pas toujours à la hauteur. « On a une maison médicale où se trouvent des médecins. Les patients, lorsque ce n’est pas trop grave, sont envoyés là-bas par le Samu. Mais ils sont rares à s’y rendre et préfèrent venir aux urgences », explique Béatrice Ausseine, secrétaire de la section CFDT de l’hôpital. « Ici, à Bourges, la population est très âgée et précaire. » Et la médecine de ville n’est pas suffisante.

En parcourant les couloirs du service, Marie-Christine Chevalier, la secrétaire adjointe de la section CFDT, explique que des travaux vont être entrepris : « L’unité HTCD [hospitalisation de très courte durée] va être déplacée, et les urgences pourront récupérer ces locaux et s’agrandir. La maison médicale sera logée dans l’étage inférieur, pour améliorer le circuit. » Les travaux doivent bientôt commencer et dureront plus de deux ans. « Est-ce que ça réglera les problèmes ? », s’interroge Marie-Christine. Elle n’a pas la réponse à cette question.