Extrait du magazine n°516
Près de 600 000 personnes travaillent dans le secteur de la propreté. Ces emplois, majoritairement occupés par des femmes, associent conditions de travail difficiles et bas salaires. Heureusement, l’action syndicale permet de décrocher des avancées. Exemple à l’hôpital Beaujon, en région parisienne

Le soleil est à peine levé, en ce jour de juillet. Il est sept heures, et l’hôpital Beaujon, situé à Clichy (Hauts-de-Seine), semble encore endormi. Samira Zine, bientôt 52 ans, vient d’arriver. Cette salariée d’Arc en Ciel Santé, la société sous-traitante du nettoyage de l’hôpital, passe par le local vétuste alloué à l’entreprise au premier sous-sol, enfile sa tenue (une blouse, un pantalon, des chaussures de sécurité) et récupère un sac rempli de bandeaux de lavage pour le sol. Direction le quatrième étage de l’hôpital, celui de la pancréatologie : Samira dispose de six heures pour nettoyer les 1400 m² du service. Il n’y a donc pas une minute à perdre.
Elle récupère son chariot dans une salle à l’étage, le prépare et pousse ses 10 kilos jusqu’au bout du couloir où se trouvent des bureaux. Elle se baisse pour vider les poubelles. Puis elle enchaîne avec les chambres, un espace sensible, dans lesquelles elle doit astiquer les plaintes, les rebords de fenêtre, vider les poubelles, nettoyer la douche, le lavabo, les sanitaires… Le rythme est soutenu, les gestes sont précis : Samira a seulement quatre minutes pour accomplir toutes ces tâches, du moins sale au plus sale. Puis il lui faut changer sa paire de gants, se désinfecter les mains, laver le sol et placer le panneau « Attention sol glissant ». En cas d’oubli, si quelqu’un chutait, cela pourrait engager sa responsabilité et celle de son employeur. La salariée d’Arc en Ciel Santé doit aussi s’occuper des salles où les infirmières effectuent certains soins et qui sont donc des zones particulières pour le personnel d’entretien. Enfin, elle doit laver les sanitaires publics de l’étage et signer une fiche apposée au mur afin de prouver que la salariée est passée et que le nettoyage a été fait.
Payée au premier échelon de la grille
En poste à l’hôpital Beaujon depuis un peu plus de six ans, Samira est payée au premier échelon de la grille prévue par la convention collective, soit 12,37 euros brut par heure, 49 centimes de plus que le Smic, malgré
sa formation de six mois de nettoyage en milieu hospitalier. Ce faible niveau de salaire mis à part, Samira considère que son métier lui « permet de vivre les pieds sur terre », indique-t-elle, attablée dans la salle de pause réservée à Arc en Ciel Santé, où la seule fenêtre, dont la vitre est actuellement remplacée par une bâche en plastique, attend d’être changée depuis trois ans. « J’ai appris des choses, créé du lien avec les personnels du service. Mais c’est aussi fatigant, j’ai mal au dos, aux épaules. Et puis il faut être à la hauteur des responsabilités de ce métier et être attentif à ne pas se blesser », souligne Samira, qui a déjà connu deux accidents de travail.
Compenser le faible taux horaire
« Nous avons beaucoup d’arrêts, d’accidents du travail, de déclarations d’inaptitude, de maladies professionnelles », poursuit Ibtissam Belhouari, responsable du site depuis cinq ans et déléguée syndicale centrale CFDT d’Arc en Ciel Santé. Une situation qui n’évoluera pas « tant qu’il n’y aura pas de changement concernant les conditions de travail », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « La cadence nous impose de ne pas respecter les bons gestes. C’est un métier qui détruit la santé des gens, qui casse. Ces salariés
ne travailleront pas jusqu’à la retraite. »
"C’est un métier qui détruit la santé des gens, un métier qui casse."
Dénonçant un manque de reconnaissance généralisé des travailleurs de la propreté au regard des fonctions importantes qu’ils assurent, Ibtissam souligne que le dialogue social a toutefois permis d’obtenir des compléments de salaire : un treizième mois, un titre-restaurant à 10 euros (4 euros à la charge du salarié), une majoration des dimanches à 100% (contre 20% dans la convention collective) et des jours fériés à 200% (contre 50%). « Nous essayons de compenser le faible niveau du taux horaire », admet la déléguée syndicale, qui explique que « c’est la force des hôpitaux [lire l’encadré] : tous [les] salariés sont sur le même site. Ceux qui nettoient les bureaux n’ont pas la même force syndicale, étant dispersés sur différents sites ». Par ailleurs, Ibtissam doit jongler avec un nouveau problème, ces derniers temps : la difficulté à faire renouveler les titres de séjour. « Une dizaine de personnes, parmi les 37 salariés de l’équipe, sont en attente de rendez-vous, que la préfecture annule ou ne donne pas à temps. C’est fait exprès. Ces personnes travaillent, elles ont besoin de leurs papiers », insiste la responsable de site.
Malgré toutes ces difficultés, Ibtissam ressent dans son équipe de la dignité : « Elles sont fières de faire ce qu’elles font et de contribuer au bien-être des patients, des soignants et des soignantes. »Ces derniers le leur rendent bien, parfois. Croisée au quatrième étage, une soignante a lancé, avec un grand sourire, lors du passage
de Samira : « C’est la meilleure! Regardez comme l’étage est propre ! ».
Une grève réussie
Les salariés de la propreté de l’hôpital Bichat - Claude-Bernard (situé dans le 18e arrondissement de Paris) ont fait grève du 1er au 3 juillet. L’entreprise Arc en Ciel Santé, à laquelle ils étaient rattachés, a perdu le marché du nettoyage de l’hôpital au profit d’Elior Services. Comme le stipule la convention collective du secteur, les salariés ont été transférés au repreneur.
« La grève avait pour objectif de discuter des conditions de reprise des salariés et de garantir leurs acquiscomme le treizième mois, les titres-restaurant, les majorations pour jours fériés et dimanches et la prime de vacances », explique Ibtissam Belhouari, déléguée syndicale centrale CFDT d’Arc en Ciel Santé. Trois jours de bras de fer qui se sont révélés gagnants : « Tout a été accepté ! »