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Extrait de l'hebdo n°3991
Selon une récente étude du cabinet Sextant Expertise, les accords d’entreprise visant à protéger les travailleurs des fortes chaleurs restent trop rares en France. Pourtant, l’adaptation au changement climatique devrait être au cœur du dialogue social.

Alors que les vagues de chaleur se multiplient et que leurs effets sur la santé des travailleurs se révèlent de plus en plus graves, la négociation collective reste très en retard. C’est le constat sans appel de Sextant – cabinet spécialisé dans l’accompagnement des élus CSE et des représentants syndicaux – qui vient de publier une étude consacrée à l’intégration des enjeux climatiques dans les accords d’entreprise.
Entre 2022 et 2024, seuls 380 accords d’entreprise mentionnent l’adaptation au changement climatique et les fortes chaleurs. Or parmi eux, à peine 8 % proposent une véritable politique de prévention combinant solutions humaines, techniques et organisationnelles. Des chiffres dérisoires alors même que les risques professionnels liés aux fortes températures augmentent d’année en année.
« Il existe très peu d’accords. On ne peut pas parler de dynamique, déplore Christian Pellet, président de Sextant. Malgré la multiplication des épisodes climatiques extrêmes et la hausse du nombre de décès, la négociation collective ne progresse pas. »
Une mobilisation encore marginale
Plus inquiétant : les secteurs les plus exposés, tels que la construction ou l’agriculture, sont aussi ceux dans lesquels la négociation progresse le moins. Sur le plan territorial, la même contradiction apparaît : les régions les plus touchées par les fortes chaleurs ne sont pas celles où les accords sont les plus nombreux. Ainsi, Provence-Alpes-Côte d’Azur, région régulièrement placée en alerte canicule, ne se classe qu’en dixième position…
Contrairement à d’autres pays européens, la France ne fixe aucune température maximale au-delà de laquelle le travail doit être interrompu. La protection des salariés repose donc largement sur la responsabilité individuelle des employeurs et sur la capacité des équipes syndicales à obtenir des avancées. Pourtant, un changement réglementaire récent pourrait ouvrir la voie à des négociations plus ambitieuses. Depuis mai 2025, le décret « chaleur intense » impose de nouvelles obligations : adaptation des horaires et des postes de travail, mise à disposition d’eau potable en quantité suffisante, dispositifs sur les lieux de travail permettant de limiter les effets du rayonnement solaire, etc.
Mais, là encore, sa traduction dans les accords tarde. « C’est maintenant, au cœur de l’hiver, qu’il faut se mettre autour de la table, alerte Christian Pellet. Si on le fait pendant la vague de chaleur, c’est trop tard. La seule solution pour protéger les salariés est alors l’arrêt du travail. » Selon Sextant, les syndicats ont un rôle moteur à jouer : pousser à la mise en place de mesures concrètes et encourager les entreprises à sortir de l’immobilisme. « Il faut être imaginatif ! », insiste le consultant.
Des accords innovants qui montrent la voie
L’étude met en lumière plusieurs accords pionniers qui démontrent que, lorsque le diagnostic est partagé et que le dialogue social fonctionne, l’adaptation est possible. Chez Saumur AggloBus, société de transports urbains du Saumurois, les véhicules climatisés sont prioritairement attribués aux conducteurs travaillant aux heures les plus chaudes, et le service peut être interrompu en cas de vigilance rouge. « Les mesures à appliquer sont différentes selon les catégories de salariés (conducteurs ou autres personnels) et le niveau de chaleur », explique Christian Pellet.
Chez idverde, entreprise paysagiste, l’accord permet aux salariés travaillant sur les chantiers d’effectuer les tâches en extérieur aux heures les moins chaudes de la journée. Le travail en équipe est également privilégié « afin de permettre une surveillance mutuelle des équipes ». Est également préconisé l’aménagement de zones d’ombre. Enfin, une attention particulière est accordée aux salariés vulnérables tels que les femmes enceintes, les personnes faisant l’objet de restrictions d’aptitude ou en situation de handicap.
Chez Kelvion, fabricant d’échangeurs thermiques, le recours au travail de nuit est possible lorsque les températures rendent difficile le travail en atelier. Eram Logistique organise une rotation des équipes dans les zones les plus exposées de l’entrepôt. Six accords prévoient également des mesures spécifiques pour les seniors. Chez Kalhyge, les salariés de plus de 56 ans sont affectés en priorité aux équipes du matin et, à partir de 60 ans, les tâches peuvent être allégées ou suspendues.
Un enjeu syndical majeur
Selon Sextant, ces initiatives montrent que, loin d’être une fatalité, l’exposition des travailleurs aux fortes chaleurs peut être anticipée et réduite… à condition que le dialogue social soit réel et que l’employeur accepte d’en faire une priorité. Il revient aux équipes syndicales de s’en saisir pour imposer partout où c’est nécessaire une véritable politique de prévention, à la hauteur de l’urgence climatique et sanitaire.