Extrait du magazine n°506
Les professionnels sont unanimes. En matière de santé mentale, il y a un avant et un après Covid. Si toute la société est concernée, le mal-être des jeunes (enfants, ados) est particulièrement inquiétant. Les signaux sont passés au rouge. La CFDT appelle à un vaste plan national, à l’image de ce qui a été fait pour le cancer ou le sida.
Quand les pompiers sont venus le chercher, Ludovic [le prénom a été changé] n’était pas sorti de sa chambre depuis plusieurs mois, à peine quelques douches. Impossible pour cet adolescent d’affronter le monde extérieur. Déscolarisé, désocialisé, il est suivi par une équipe mobile de l’hôpital psychiatrique de Quimper qui vient de prendre la décision de l’interner pour une ou plusieurs semaines.
« Avant, les jeunes qui allaient mal avaient tendance à fuir le foyer familial, à fuguer et à se faire du mal en consommant toutes sortes de produits, constate Julien, éducateur spécialisé. Aujourd’hui, c’est souvent l’inverse. Beaucoup s’enferment, passent leur temps sur les écrans et les réseaux sociaux et n’arrivent plus à affronter le monde extérieur, à gérer les relations sociales. »
Une hausse du nombre d’enfants suivis
Alors que les professionnels pensaient que les conséquences liées à l’épidémie de coronavirus sur la santé mentale de la population française allaient s’estomper, il semblerait, in fine, que ce ne soit pas le cas. « Il y a incontestablement un avant et un après Covid, tout particulièrement chez les jeunes, résume Noël Vanderstock, secrétaire national du Syncass CFDT (Syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés) et membre de la direction de l’hôpital psychiatrique de Quimper. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à se sentir mal, à avoir besoin d’aide et de soutien. Dans notre établissement, le nombre d’enfants et d’adolescents suivis a augmenté de 3,26 % entre 2022 et 2023 alors que l’augmentation générale des patients n’était que de 0,5 %. »
Face à cette situation inquiétante, vécue dans tous les établissements du territoire, la CFDT milite afin que la France lance un plan national pour la santé mentale, à l’instar de ce qui a été fait pour le cancer ou le sida ; un plan qui permettrait de lever certains tabous et d’avancer en matière de prévention. « Il faut parler de santé mentale, lever les craintes, banaliser le recours à des professionnels spécialisés. Il y a encore beaucoup de travail », insiste Ève Rescanières, secrétaire générale de la Fédération CFDT Santé-Sociaux, qui salue la démarche de certains artistes, comme la chanteuse Zaho de Sagazan, ou de sportifs engagés dans cette voie.
« Plus les pathologies sont détectées tôt, meilleure est la prise en charge, insiste-t-elle. Aujourd’hui, on peut clairement parler de perte de chance lorsqu’un patient attend des mois avant d’être pris en charge. »
Et que dire de l’ado qui fait une tentative de suicide ou cesse de s’alimenter et qui devra attendre plusieurs semaines avant d’être reçu par un professionnel ?
Cette attente avant de pouvoir consulter dans un centre médico-psychologique infantile (CMPI) est la partie la plus visible de la crise du secteur de la maladie mentale. Le système est pourtant bien conçu.
Ces structures, qui accueillent les jeunes jusqu’à 16 ans, maillent le territoire et sont accessibles gratuitement. Mais, aujourd’hui, elles sont débordées et peinent à recruter des professionnels.
Le manque de pédopsychiatres est particulièrement criant. Les familles qui ont les moyens financiers peuvent faire appel à la médecine libérale (même si la situation est tout aussi critique) mais, pour les plus précaires, il n’y a pas d’autre choix que d’attendre le prochain créneau disponible. « Si l’on sent qu’il y a une urgence vitale, on se débrouille pour les prendre en charge, mais ce n’est pas une solution satisfaisante », résume une infirmière chargée de recevoir ces jeunes au sein d’un CMPI breton.
Des professionnels démunis
Les professionnels de la santé mentale se sentent d’autant plus démunis qu’ils doivent faire face à une hausse des demandes alors qu’ils sont déjà en sous-effectif et qu’ils ont le sentiment de devoir combler tous les trous dans la raquette. La médecine scolaire, par exemple, qui devrait être en première ligne pour accompagner les jeunes, est dans un état catastrophique. On ne compte plus les établissements qui se partagent une infirmière pour des milliers d’élèves. Les réseaux d’aide aux élèves en difficulté ont, eux aussi, été mis à mal.
Impossible de ne pas lier le sujet de la santé mentale à celui des inégalités sociales ou de l’exclusion.
Même chose dans le monde de l’entreprise, où la médecine du travail n’est pas outillée pour jouer ce rôle de prévention auprès des salariés. Pourtant, les pathologies psychiques liées à la souffrance et à l’épuisement au travail sont en augmentation. Le monde de l’entreprise doit affronter ce sujet encore largement tabou. L’organisation du travail, les conditions, le management… nombre de réflexions doivent être menées.
Déléguée générale de l’Alliance pour la santé mentale (une association qui milite pour que la santé mentale soit déclarée grande cause nationale 2025 par le gouvernement), Angèle Malâtre-Lansac veut rester optimiste : « On le sait bien que l’on manque de médecins et que les moyens ne sont pas illimités, mais des solutions existent, insiste-t-elle. Quand on sait que 75 % des troubles apparaissent avant 25 ans, on voit tous les progrès que nous pourrions faire s’il était décidé d’investir massivement dans l’information, la promotion et la prévention. »
Enfin, impossible de ne pas lier le sujet de la santé mentale à celui des inégalités sociales ou de l’exclusion. « La précarité économique fragilise les corps mais aussi les têtes. Une société qui protège moins génère des maladies mentales », affirme une cadre de santé, adhérente de longue date à la CFDT.
Sans surprise, une personne en grande précarité économique aura plus de risque d’être confrontée un jour à une maladie mentale. Idem pour un jeune élevé dans une famille qui peine à joindre les deux bouts.
Et la question du logement est majeure lorsqu’il s’agit de mettre en place un suivi efficace. « Nous sommes tous susceptibles de souffrir d’une maladie mentale au cours de notre vie, mais nous ne sommes pas tous armés pour y faire face, résume Ève Rescanières. L’enjeu est de réduire cet écart inacceptable, notamment en accordant une place toute particulière à la santé mentale de nos jeunes. »